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Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles

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WOLFGANG HILDESHEIMER 179<br />

mais je ne suis pas un théoricien. Il m’a toujours semblé quelque peu<br />

contradictoire de vouloir expliquer des mots par d’autres mots,<br />

d’interpréter une œuvre d’art par le biais de son propre médium.<br />

Dans les autres arts, le rapport entre théorie et pratique est clair : je ne<br />

peux pas peindre un tableau pour expliquer un autre tableau. Sans<br />

compter que j’ai toujours eu quelques réserves vis à vis des auteurs de<br />

fiction qui écrivent ou parlent de l’écriture de la fiction. Mais j’aurai<br />

l’occasion de revenir là-dessus.<br />

Je ne me sens donc pas qualifié pour disserter sur la théorie ; et, de<br />

toute façon, je n’avais aucune envie de le faire. Pour rédiger ces notes,<br />

je me suis retiré dans ma maison de campagne en Italie, seul avec mes<br />

convictions, mes goûts et mes aversions – et sans bibliothèque à ma<br />

disposition : aucun ouvrage de références, aucun dictionnaire, et<br />

guère plus d’une douzaine de livres, dont ce fameux Unquiet Grave.<br />

C’est donc plus le hasard que l’intention qui m’a conduit à le citer en<br />

ouverture. Le charme de la relecture se doubla de celui qu’apporte le<br />

désaccord, comme dans le cas de la première affirmation, où il est dit<br />

que les écrivains espèrent toujours que leur prochain livre sera le<br />

meilleur. Rien de tel en vérité ! Ils croient, au contraire, que leur<br />

meilleur livre est celui qu’ils viennent de terminer, sans se rendre<br />

compte qu’il ne s’agit souvent guère plus que d’un «échantillon de<br />

chatoyante médiocrité ». Et s’ils ne dépassent pas ce stade, ce n’est<br />

certainement pas faute de bonnes intentions, mais plutôt de talent. Il<br />

n’est pas à la porté de n’importe quel écrivain d’écrire un « chefd’œuvre<br />

» ; et ce n’est assurément pas son « actuel mode de vie » qui<br />

l’en empêche. Il y a aussi, c’est bien connu, une façon subjective et<br />

une façon objective d’envisager un chef-d’œuvre ; il est possible qu’un<br />

auteur, qui a écrit le sien, ait atteint son sommet – mais il est rare que<br />

ces sommets coïncident avec ceux de l’histoire de la littérature ! Pour<br />

revenir une fois encore – et ce ne sera pas la dernière – à Joyce, nous<br />

avons les deux versants dans Finnegans Wake. Onze années consacrées<br />

à un risque : celui d’avoir tout dit ou rien dit ; onze années de travail<br />

harassant, d’abandon total et sans précédent à ce Work in Progress ;<br />

avec toujours au fond de soi la crainte lancinante de ne pas savoir si<br />

cette formidable partition rédigée dans un système linéaire serait<br />

comprise ou pas. Ni T. S. Eliot, ni Ezra Pound n’y croyait. Et<br />

pourtant, Joyce a continué, toujours plus persuadé que ce livre ne

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