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Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles

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IMMANUEL WALLERSTEIN 81<br />

Roberto Michels, lorsqu’il décrivit la façon dont le processus<br />

d’institutionnalisation de la révolution agissait sur les instances<br />

dirigeantes des organisations et comment, de fait, il les corrompait et<br />

les désamorçait. Cette découverte est tenue aujourd’hui pour une<br />

évidence sociologique. Ce que l’analyse de Michels ne précise pas,<br />

c’est l’impact de l’institutionnalisation de la révolution sur ses propres<br />

sympathisants. Cela me paraît encore plus important.<br />

Je pense que c’est ici que l’argument de Freud sur l’intoxication<br />

peut nous être le plus utile. Fondamentalement, les mouvements<br />

anti-systémiques intoxiquèrent leurs membres et leurs sympathisants<br />

en les organisant, en mobilisant leur énergie, en disciplinant leur vie<br />

et en influençant leur manière de penser. Le narcotique utilisé fut<br />

l’espoir. L’espoir dans un futur rationnel qui se profilait à l’horizon,<br />

l’espoir en un monde nouveau que bâtiraient, une fois parvenus au<br />

pouvoir, ces mouvements. Ce n’était pas un simple espoir, c’était un<br />

espoir indispensable. L’Histoire, c’est-à-dire Dieu, était du côté des<br />

opprimés, ici et maintenant, dans ce monde où ils vivaient — ou, du<br />

moins, où vivraient leurs enfants. On peut comprendre maintenant<br />

pour quelles raisons, du point de vue des détenteurs du pouvoir, les<br />

mouvements sociaux pouvaient être qualifiés d’instruments<br />

permettant de contrôler le changement. Aussi longtemps que la<br />

colère populaire se trouvait canalisée par des mouvements sociaux,<br />

elle pouvait être contrôlée. Les mouvements institutionnalisés<br />

devinrent les seuls interlocuteurs reconnus par les instances du<br />

pouvoir et permirent d’empêcher que leurs membres ne viennent<br />

discuter certaines concessions accordées à la classe dirigeante. Au XX e<br />

siècle, il a été possible d’affirmer que seules les mouvements sociaux<br />

eux-mêmes barraient la voie à une réelle révolution. Cela ne signifie<br />

pas que ces mouvements n’ont pas imposé la mise en œuvre de<br />

réformes importantes. Ils l’on fait sans aucun doute, mais en aucun<br />

cas ils ne transformèrent le système. En reculant ces transformations<br />

aux Calandes grecques, ils offrirent les meilleures garanties de<br />

stabilité au système.<br />

La révolution mondiale de <strong>19</strong>68 signe le moment où les masses<br />

populaires décidèrent de décrocher. Le discours populaire antisystémique<br />

se retourna pour la première fois contre les instances

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