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Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles

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MARGINALIA 283<br />

« Combien un individu supporte-t-il de vérité, combien en ose-t-il ?<br />

Voilà le critérium qui m’a servi de plus en plus pour mesurer<br />

exactement les valeurs ». Voilà le critérium, aussi, sur lequel repose<br />

son dédain de la civilisation européenne, qui ne va pas droit à<br />

l’exigence de vérité et dont « les jugements de valeur ne sont fondés,<br />

en conséquence, que sur une connaissance fausse et illusoire des<br />

choses » (Nietzsche).<br />

On comprend, dès lors, l’insistance avec laquelle Nietzsche revient<br />

sans cesse sur le problème de la connaissance. Mais le renversement<br />

semble total, car après avoir fait de la vérité la mesure de toute valeur,<br />

voilà qu’à présent « il excelle à ramener tout jugement de vérité à un<br />

jugement de valeur. La réalité exprimée, c’est toujours la réalité du<br />

sujet qui l’exprime, et non point la réalité qu’il prétend exprimer »<br />

(Picon). Pourtant, Nietzsche n’est pas un idéaliste : il maintient à la<br />

fois la conception de la vérité comme « adéquation de la<br />

représentation à son objet » et le postulat de l’existence d’une réalité<br />

indépendante de la pensée. Bien plus, son naturalisme et son<br />

vitalisme l’amènent à postuler que la réalité est non seulement<br />

indépendante de la pensée, mais lui est fondamentalement étrangère.<br />

« En tant que nous sommes des êtres vivants, les préoccupations<br />

vitales nous empêchent d’accéder à une perception objective et<br />

exhaustive du donné » (Picon). La conception subjectiviste de<br />

Nietzsche est donc tout à fait particulière : si le « caractère<br />

perspectiviste et illusoire de la connaissance est inhérent à<br />

l’existence » (Picon), c’est que la pensée remplit, a priori, une fonction<br />

vitale orientée vers la conservation de soi ou de l’espèce, plutôt<br />

qu’une fonction proprement intellectuelle orientée vers la recherche<br />

de la vérité. Or, de par sa fonction vitale, la pensée est essentiellement<br />

créatrice de fictions : ce que la pensée nomme « vérité » n’est que<br />

l’ensemble des représentations qui suivent les fluctuations des besoins<br />

et des désirs humains. Le perspectivisme nietzschéen fait donc de<br />

l’erreur, de l’illusion, aussi bien une fatalité organique qu’une<br />

nécessité vitale. Et rien n’échappe à cette idée de la dépendance de la<br />

connaissance à l’égard de la vie : la pensée religieuse, la<br />

métaphysique, la morale et jusqu’à la pratique rationnelle de la<br />

science. De quelque manière que ce soit, les « choses touchent nos<br />

cordes, mais c’est nous qui faisons la mélodie » (Nietzsche).

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