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Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles

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<strong>18</strong>8<br />

LA FIN DES FICTIONS<br />

démarque de ses collègues du congrès des écrivains de <strong>19</strong>34, où le<br />

mot « art » était celui qui revenait le plus souvent, après le mot<br />

« progrès », dans un sens positif naturellement. Il est impossible de<br />

nier que l’écriture est un art au même titre que la peinture ou la<br />

musique ; le fait que les mots aient une signification repérable et une<br />

valeur sémantique, à l’inverse des couleurs ou des notes, n’empêche<br />

pas que la littérature partage une chose essentielle avec les deux<br />

autres disciplines : cette façon de transcender son objet et d’éveiller<br />

ainsi notre capacité de réception et notre imagination. Il est inutile de<br />

souligner que l’impulsion créatrice n’est pas une réaction directe à des<br />

phénomènes extérieurs mais un processus interne de sublimation qui,<br />

comme tel, n’est donc pas en rapport avec le conscient. Même si<br />

l’écrivain recherche consciemment un équivalent capable de rendre<br />

compte de son expérience par le biais de la description ou par un<br />

autre détour, il n’a aucun pouvoir de contrôle dans ce domaine et ne<br />

maîtrise pas cette capacité à le trouver. De ce fait, il ne doit pas être<br />

jugé sur sa capacité à éprouver de la joie ou de la douleur, de la peur<br />

ou du désespoir, mais sur le degré de transcendance atteint dans sa<br />

réaction créatrice. Ce que j’entends par transcendance ne devrait pas<br />

poser de problème : il s’agit de cette qualité qui fait qu’un ensemble<br />

de mots dépasse le niveau d’un simple article de journal ou d’une<br />

lettre, transformant la réalité tangible en vérité subjective. Or quelle<br />

est cette qualité ?<br />

Permettez-moi de revenir à Connolly. Il y a un passage dans Le<br />

Tombeau de Palinure qui dit ceci : « Aux premières heures du jour,<br />

lorsque l’âcre puanteur de la vie monte de toute la création comme les<br />

miasmes d’un égout, le vide de l’existence apparaît alors plus terrible<br />

que sa misère. “Inferum deplorata silentia…” » En regard de cet<br />

exemple quelque peu tardif de mal du siècle, je voudrais vous citer un<br />

passage tiré d’un roman écrit par un jeune ouvrier allemand, un<br />

« non-professionnel » donc : « S’il faut bosser comme je bosse, pour<br />

un salaire aussi minable, la vie c’est rien qu’une saloperie ! 3». Au<br />

3. Peter Neuneier, cité par Martin Walser dans Wie und wovon handelt<br />

Literatur ? Suhrkamp, Francfort um Main, <strong>19</strong>73.

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