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Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles

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266<br />

SUR DES INTELLECTUELS ET DU POUVOIR DE E. W. SAID<br />

qui, plus piteux encore, pour le seul plaisir de ne travailler guère ou de<br />

briller un peu, deviennent, dans l’antichambre des ministres ou la salle à<br />

manger des riches, courtisans, valets et parasites ? Ce journaliste qui vend<br />

sa plume au plus payant, ce chroniqueur qui lèche les bottes et raconte<br />

comment on les cire, ce procureur de femmes, ce leveur d’affaires, ce<br />

brasseur de journaux, tous ces gars-là, cochons vendus ?<br />

Cochon vendu, ce bouffon qui entretient sa notoriété et gagne sa vie à<br />

faire le pitre devant la foule ; cochon vendu, ce poète larmoyeux qui mendie<br />

de quoi manger – non de quoi boire dans les comités ou les ministères !<br />

Cochons vendus, ces bonshommes qui ont joué les enthousiastes ou les<br />

bourrus, ont fait parade d’indépendance ou d’excentricité, et, un beau jour<br />

vidés, tant ils avaient le ventre pauvre, éteints, épaissis, finis, se sont,<br />

comme leurs frères, les porcs de foire, fait passer une faveur rouge au cou,<br />

ils ont coiffé leur groin d’un bonnet carré, et ils vont rôdant et grognant du<br />

ventre, le mufle et les pieds dans l’auge de la médiocrité.<br />

Cochon vendu, quiconque vit de flatteries au pouvoir ou de<br />

complaisance à l’opposition, qui fait les commissions de l’un ou de l’autre<br />

et demande, pour prix de ses courses, une petite candidature dans quelque<br />

bourg, qu’il achèterait bien s’il était riche.<br />

Ils s’appellent créatures d’un ministre, volontaires d’une cause !<br />

Volontaires, non ! des cochons vendus ! Ils ne courent d’autres risques que<br />

d’engraisser sous la pluie des crachats ou dans la fadeur de l’encens !<br />

Mais, plus que les démonstrations des histrions de la gnose, de la<br />

glose et de la glotte, Saïd craint la menace que font peser les<br />

professionnels – ceux qui, ayant abandonné tout sens moral, gagnent<br />

de l’argent en arguant de l’autorité que leur confère leur savoir – sur<br />

l’image édifiante que, selon lui, les intellectuels devraient donner<br />

d’eux-mêmes et entretenir dans l’esprit du public. Car, si les discours<br />

des premiers peuvent tenir d’une logorrhée plus ou moins nocive,<br />

ceux-là offrent au pouvoir la redoutable efficacité idéologique et<br />

pratique d’un savoir de spécialistes où nulle considération éthique<br />

n’entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’éclairer le choix des<br />

politiques et des grands décideurs, et qui paraît d’autant plus<br />

indiscutable qu’il est paré de tous les atours de la rigueur<br />

scientifique : faux détachement, illusoire objectivité, improbable<br />

neutralité axiologique, langage spécialisé hermétique, « assurance<br />

absolue » sans fondement, expertise fallacieuse, etc. En bref, c’est sous<br />

le sceau du professionnalisme que l’alliance du savoir et du pouvoir

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