(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

LES VACANTS EN CERDAGNE …
En somme, cette entreprise de codification de l’espace rend compte
tout à la fois de la singularité géographique du lieu et des modalités particulières
d’accès à ses ressources, modalités diverses au gré des saisons ou du
jeu social. En bout de course, l’espace des textes s’identifie à la transcription
d’un rapport de pouvoir cristallisé en un moment donné.
L’espace vécu
Cependant, cette démarche toute théorique de production d’un champ
spatial ne pouvait se départir d’une volonté de coller au concret, aux paysages
balayés du regard. De fait, ces définitions, au degré de précision plus ou
moins avéré, d’un lieu ne sauraient s’entendre comme la marque d’une
connaissance approximative du terrain. S’il ne fallait donner qu’une preuve
de cette appréhension physique des finages, elle pourrait résider dans les
modalités utilisées pour trancher les litiges entre communautés. À ce propos,
l’enregistrement écrit de la querelle opposant les habitants de Puigcerdà aux
hommes de la vallée de Carol au sujet du port du Puymorens renferme un
témoignage, ô combien savoureux, d’arbitrage in situ10. En février 1297, les
motifs du contentieux furent portés devant le viguier de Cerdagne par les
arbitres de chacune des deux parties. Comme il était nécessaire d’examiner,
de visu, les lieux concernés et que ceux-ci étaient enneigés, il fut convenu de
repousser la visite au printemps. Quatre mois plus tard, juges et représentants
des communautés se réunirent donc à Porté puis, le lendemain, gagnèrent le
col du Puymorens pour statuer du bien-fondé des revendications. Un autre
exemple nous est fourni par une vista tenue en 1294 aux confins des
territoires andorrans et cerdans11. À cette date, les représentants des communautés
de Canilló (Andorre) et de Puigcerdà, assistés du juge et du viguier
royaux de Cerdagne, se réunirent au lieu-dit Aiga de la Casa pour statuer des
droits que chacune des parties détenait sur les pâturages de les Viletes et
d’Estanyol12.
Au tournant du XIVe siècle, ces procédures d’arbitrage s’appuyaient
d’évidence sur une connaissance sans faille du terrain, sur le concept d’un
espace reconnu, parcouru et intériorisé. En quelque manière, ces montées
dans les ports d’altitude témoignaient du maintien de procédures de paix
orales dont les textes peinent à restituer la teneur. En effet, l’on peut légiti-
horis ”.
10 S. Galceran Vigue, “ Els privilegis…, op. cit., doc. n°23.
11 À la suite des travaux menés sur l’Andorre par Roland Viader, nous identifierons la vista à
“ une assemblée générale caractérisée par son versant délibératoire ” (R. Viader, L’Andorre
du IXe au XIVe siècle. Montagne, féodalité et communautés, Toulouse, PUM, 2003, p. 234).
12 C. Baraut, Cartulari de la vall d’Andorra, T.2, doc. n°14.
242