(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

ELISABETH BILLE
outre, le texte prévoyait que la tasque devrait être versée pour toute terre
mise en culture dans la forêt.
Au demeurant, cette première fêlure esquissée dans l’exclusive interprétation
des prérogatives des communautés sur les forêts, les eaux et les
pâtures en terme de partition des droits ne vaut pas pour elle-même. Elle
ouvre de nouvelles perspectives dans l’analyse des registres juridiques liés à
la spatialisation des droits et des pratiques. Nous l’avons déjà amplement
suggéré : il convient de ne point considérer les espaces sylvo-pastoraux
comme un bloc juridique monolithe. Les cortals, ces unités d’habitat
temporaire plantées sur la partie intermédiaire des versants, illustrent parfaitement
l’entrecroisement des champs juridiques sur un même espace.
Donnés, vendus, échangés, ils relevaient de la propriété privée. Dans les
règlements communautaires ils légitimaient l’accès à l’espace commun. En
bout de course, le discours rebondit sur la définition, ô combien délicate, des
“ droits des communautés ”. Couchés sur papier, ils se présentent clairement
sous la forme d’une déclinaison de capacités d’utilisation ou d’interdits face
à un droit général d’emprise qui peine à être explicité. Un exemple daté de
l’extrême fin du XIIIe siècle et consignant les accords passés entre les
communautés de Puigcerdà et de la vallée du Carol au sujet du port du
Puymorens, peut suffire à en convaincre39. Les deux parties exerçaient en
commun droit de pâture et droit de construire des cortals et des iagudas pour
leur bétail. Toutefois, deux clauses réservaient aux Carolins une forme
d’exclusivité sur cet espace. D’une part, ils disposaient de la soulane du col
du Puymorens à titre de devèse. D’autre part, ils se réservaient l’exclusif
usage de l’herbe durant quinze jours après la fauchaison, le bétail de
Puigcerdà étant interdit de sortir des iagudas et de traverser les pâturages.
Au demeurant, les quelques fils tirés intiment à la prudence à l’heure
d’analyser les modes d’expression juridiques noués autour des vacants. La
souplesse des dispositions énoncées dans les chartes invite en effet à mesurer,
au cas par cas, les écarts perceptibles entre les paroles du droit et les
rapports sociaux et spatiaux dont elles cherchent à rendre compte. En outre,
il importe de souligner que ces chartes ne livrent en aucun cas un discours
constitué sur le statut juridique de l’inculte mais enregistrent une batterie
d’ouvertures ou de fermetures, individuelles ou collectives.
À titre de conclusion, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, il
importe d’insister sur les mécanismes articulant le discours sur la spatialisation
des droits et des pratiques des communautés. Le cœur des réglementations,
contenu dans les clauses annexes, se décline en une gamme de capa-
39 S. Galceran Vigue, “ Els privilegis de la vila de Puigcerdà. El Llibre Verd i el seu trasllat ”,
Urgellia 1, doc. n°23.
251