(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

MICHEL BRUNET
l’administration de l’intendant et de ses viguiers mais seul le viguier Comte
qui supervisait le Conflent et le Capcir opéra quelques incursions d’ailleurs
fort critiquées. La justice était attribuée à une Chambre du Domaine présidée
par un magistrat du Conseil Souverain selon un tour de rôle annuel et qui,
pour ne fâcher personne, ne faisait rien ou pas grand chose.
« Pour remédier au désordre qui règne dans l’administration des bois
de la province du Roussillon »6, le roi attribua en 1759 l’exclusivité de la
police à l’intendant et créa une nouvelle Chambre du Domaine dotée de magistrats
permanents et spécialisés. Le Conseil Souverain prit très mal ce
partage des compétences et s’employa avec beaucoup d’efficacité à paralyser
la répression. À cette fin, l’obstacle procédural le plus efficace consista à
exiger, conformément à la loi française, que les gardes-bois délivrent un
procès-verbal écrit aux délinquants. Il était très difficile de recruter des gardes
exerçant honnêtement « un métier mal regardé » mais exiger en outre
qu’ils fussent lettrés, c’était demander l’impossible. L’inertie habituelle
combinée avec ces embûches contribua à enliser la répression. Le viguier de
Prades signale dans une lettre du 29 mars 1783 que, depuis le 2 mai 1782, le
greffier de sa viguerie a reçu 29 rapports, qu’il a fait assigner exactement les
délinquants et les séquestres en direction du procureur de la Chambre du
Domaine qui n’a pas bougé. « C’est sans doute l’impunité qui enhardit les
malfaiteurs. »
Des complicités généralisées
Les agents de l’État ne peuvent absolument pas compter sur une quelconque
collaboration des autorités locales, qu’ils soient représentants seigneuriaux
comme les bayles ou magistrats municipaux comme les consuls
ou les clavaires. Il ne s’agit pas seulement d’omerta mais très souvent de
complicité active, les notables étant généralement les principaux bénéficiaires
des trafics clandestins liés au bois. Même les curés se mêlent à l’occasion
de la partie. À Molitg, le curé est accusé d’acheter à bas prix de grandes
quantités de bois de délit, probablement pour le revendre. En 1766, à
Caudiès, lorsqu’un garde forestier prête main-forte à un huissier « le curé
serait sorti à la fenêtre de sa cure à deux différentes reprises et aurait crié
publiquement et à haute voix et en présence de nombre de personnes audit
garde qu’il était un bêlitre, un coquin, un voleur… qu’il voulait le faire casser
de sa charge de garde ». Lorsque dans les années 1750, le viguier Comte
lance une grande offensive pour le contrôle des forêts du Capcir, ce sont
quatre curés du plateau qui s’adressent directement au roi pour le contrer.
6 ADPO 2B 83.
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