(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

VÉRONIQUE IZARD
Le déséquilibre survenu au terme de plusieurs siècles de pressions accrues
affecte l’ensemble de l’espace montagnard. Le cantonnement des pratiques
et la spécialisation des bois, dictés par une rationalisation des exploitations,
n’ont pas été sans risques. Dans bien des secteurs, l’équilibre écologique
a été mis en péril. Dans les vallées fortement marquées par l’industrie,
les prélèvements sont responsables d’une dégradation importante des espaces
boisés d’altitude. Les forêts au service des forges et des scieries ont
considérablement diminué. L’intensification de l’industrie charbonnière a
conduit à l’éradication de boisements subalpins et à la dégradation de la forêt
montagnarde.
Longtemps accusée d’être responsable de la diminution, voire de la
disparition du sapin, la sidérurgie ne paraît pourtant pas être aussi coupable
qu’on a pu le prétendre. Protégée par des interdictions de coupe et exclue de
l’affouage des forges, cette essence était, on l’a vu, strictement réservée à
l’usage des scieries et à la production de bois de marine. C’est bien plus
souvent victimes de la hache des bûcherons que de la cognée des charbonniers
que les sapinières ont progressivement diminué.
La hêtraie semble avoir été, durant cette longue période de croissance
du Moyen Âge tout au moins, la principale victime des exploitations. Les
sources écrites révèlent la faiblesse de sa valeur marchande. Le hêtre n’est
pas utilisé comme bois d’œuvre et de tous les ustensiles fabriqués par les
artisans, ceux confectionnés en fag sont soumis à des franchises tout à fait
modiques. Sa qualité d’excellent combustible et sa faculté de repousser de
souche le prédisposaient à l’alimentation des forges, au chauffage des fours
domestiques et artisanaux. Répondant à un prélèvement charbonnier toujours
plus important, les hêtraies ont progressivement été éclaircies et converties
en taillis. Avec ou sans autorisation, les paysans en manque de terre
profitaient des déboisements sidérurgiques pour mettre en culture les espaces
ouverts.
À plus basse altitude, Fagus est grignoté par les défrichements culturaux
et les coupes de bois domestiques. Par endroits, il a fait les frais des
mesures de protections instaurées à l’égard du chêne. Les données anthracologiques
(Saint-Laurent de Cerdans) ont mis en évidence son éradication
et sa substitution par la chênaie, forêt usagère beaucoup plus prisée, et préservée
pour la glandée72.
Le diagramme palynologique des Cortalets illustre clairement la surexploitation
de la hêtraie. Alors que Quercus et Abies se maintiennent dans
des proportions assez stables, Fagus diminue considérablement au point de
ne plus être représenté aux environs du site vers le XIIe siècle (a.e.).
72 V. Izard, Les montagnes du fer… op. cit., 29-34.
285