(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

II. USAGES ET ABUS
MICHEL BRUNET
Si les offensives lancées contre le principe de la loi Stratae ont rapidement
tourné court, en revanche la mesure et l’exercice des droits d’usage
ont engendré d’importants contentieux. Si les bois étaient à l’usage des peuples,
la propriété éminente des seigneurs ou du roi se bornait à un droit de
police. Les juristes, dont l’activité principale consiste à contourner ou à détourner
les textes normatifs, introduisirent une faute de traduction dans le
texte des « Usatges » et prétendirent que les bois appartenaient aux puissants
« sauf l’usage de leurs peuples ». Cette distorsion avait pour but de permettre
aux propriétaires d’exploiter leurs forêts une fois que les besoins des
communautés usagères avaient été satisfaits.
À partir de là, il fallait calculer l’ampleur de ces besoins. Si la mesure
objective de l’herbe ou de l’eau nécessaires était impossible, on pouvait
raisonnablement réglementer l’usage au bois avec une certaine précision,
notamment pour le bois d’œuvre en fonction des constructions ou des réparations
indispensables. Les « criées » comportent habituellement des articles
exigeant par exemple une autorisation préalable des consuls ou du bayle
pour se procurer des planches ou des poutres. Les criées d’Osséja de 1758
précisent que, pour le bois d’œuvre, il faudra « faire ostentation aux
consuls », alors que l’accès aux broussailles et au bois mort est libre.
Le problème du partage entre besoins domestiques et exploitation seigneuriale
se complique du fait de la nécessité de gérer la forêt sur le moyen
ou sur le long terme ; la question apparaît clairement pour la forêt de Mosset
en 17424. Le seigneur ayant demandé l’autorisation d’implanter une
deuxième forge, une enquête est lancée sur les capacités de la forêt. Un témoin
déclare : » Il y a assez de bois sur le terroir pour le chauffage des habitants,
la bâtisse et les charbons nécessaires au travail de deux forges mais
les bois seraient épuisés au bout de dix ou douze ans… ». Le fait que la
dame d’Aguilar et son fils « ont fait commerce du bois, ils ont vendu et fait
couper de gros arbres du Bosch Nègre pour faire des poutres » aggrave les
risques futurs de pénurie.
Les arbitrages sont d’autant plus difficiles à rendre que les intérêts, les
appétits, les spéculations, les nécessités s’entrecroisent. Les usagers sont
parfois aussi des forgerons, des bûcherons ou des muletiers qui vivent du
travail de la forge. Nous avons essayé de démêler ce jeu complexe pour ce
qui regarde la commune de Prats-de-Mollo dans un article paru dans les
Études Roussillonnaises de 1999 auquel nous ne pouvons que renvoyer dans
le cadre de cette communication.
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