(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

VÉRONIQUE IZARD
Si partout ils peuvent sans aucune restriction user des bois morts et
gisant à terre25, d’un espace à l’autre les concessions ne sont pas de même
nature et les pratiques ne sont pas toujours accordées avec les mêmes libertés.
Pour ne citer que quelques exemples parmi les nombreuses chartes qui
légifèrent l’exploitation des forêts usagères au début du XIVe siècle, on note,
dans l’édit royal prononcé en 1306 en faveur des habitants de Jujols, qu’ils
sont autorisés « à faire paître librement les troupeaux, à prendre du bois, de
la tesa26 et faucher l’herbe dans la forêt voisine de Conat »27. Dans une
ordonnance prononcée deux ans plus tard en faveur des hommes des
communautés de Quers, Querol et Cortvassil en Cerdagne, il est précisé que
les hommes sont redevables de trois deniers pour chaque charge d’herbe
fauchée dans le bois de Campcardos28. Le potentiel fourrager de chacune des
vallées peut expliquer les différences imposées dans l’exercice des droits
d’usage et le paiement ou non de redevances. Située bien plus haut en
altitude et soumise à des conditions climatiques plus rigoureuses, la vallée de
Quérol, dont l’activité pastorale semble importante, bénéficie de bien
moindres ressources herbagères sous forêt (durant les périodes hivernales ou
lors des saisons intermédiaires, périodes de transhumances printanières et
automnales), que les vallées moins élevées, plus forestières et soumises à des
conditions bioclimatiques plus favorables. Tout comme la rareté d’un
produit peut justifier sa cherté, la faiblesse momentanée des ressources herbeuses
dans les forêts d’altitude en augmente d’autant plus la valeur.
Mais la fonction socio-économique à laquelle répond chacun des espaces
boisés a peut-être plus encore une part de responsabilité dans les dispositions
fixées. Nous verrons en effet que le souverain tire des revenus
réguliers du pacage des troupeaux dans certaines forêts du royaume.
Au-delà d’une gestion particulière édictée en fonction des espaces
forestiers, de leurs potentialités et des activités communautaires exercées, les
chartes mettent en évidence une règlementation des pratiques liées à la
production d’objets artisanaux et au commerce des menus produits issus des
forêts. Les paysans montagnards trouvent dans de nombreux petits métiers du
25 « … atorgaren que pusquen penre tot aybre que troben abatut en lo dit bosch per fer so
ques volran a lur us daquels.. », Arch. dép. Pyr-Or., 1 B 94, 1311.
26 Tesa : Teia ; il s’agit de la partie interne des bois de pin, riche en résine et utilisée
notamment pour l’éclairage domestique.
27 Arch. dép. Pyr-Or., 1 B 21, 1306.
28 « … Item que cascun dels ditz homens qui penra e trascha herba del dit bosch et termes
del dit bosch pach e aga a paguar per cascuna somada quen trayran e penran III diners
parcascuna somada » ; transcription V. Izard, Les montagnes du fer … op. cit., tome II, 134-
135.
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