(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

EMMANUEL GARNIER
Paradoxalement, la dernière grande offensive des bêtes noires en
Roussillon épargne la haute montagne pour se dérouler dans le massif plus
modeste des Fenouillèdes. Rattachée administrativement au Languedoc sous
l’Ancien Régime, la région était mieux contrôlée par les autorités royales, ce
qui explique l’existence d’une riche documentation produite par l’Intendance,
les communautés rurales et la louveterie15.
L’affaire débute, et ce n’est pas un hasard, au mois de juillet 1785,
lorsque les troupeaux installés sur les sommets enclavés en forêt sont les plus
vulnérables. Les plaintes émanant des villages de Rabouillet, Vira et
Fenouillet, toutes riveraines des grandes forêts royales de Boucheville,
d’Ayguebonnes et des Fanges, parlent des « ravages » causés par les ours et
les loups qui « ont fait périr nombre de bestiaux des différentes communautés
». À Rabouillet, un ours a même tué à lui seul cinq bœufs ! La recrudescence
et la violence des attaques paraissent anormales aux habitants et aux
représentants du roi qui insistent sur le régime alimentaire nouveau des ursidés
devenus de plus en plus carnivores. Les loups ne sont pas en reste, eux
qui enlèvent en plein jour les brebis malgré la présence des bergers et qui
multiplient les agressions nocturnes en dépit des feux allumés par leurs gardiens.
Moyen de défense ancestral contre les fauves dans la chaîne pyrénéenne,
les feux étaient entretenus toute la nuit autour des orris afin
d’éloigner les prédateurs qui rôdaient comme des voleurs. Dans ce cas précis,
la mesure se révéla insuffisante puisque des loups allèrent jusqu’à prélever
leur pitance directement dans les « bercails », les étables proches des
bergeries où les moutons étaient censés trouver un abri sûr pour la nuit. Détail
d’importance qui explique peut-être l’hécatombe ovine, les pasteurs ne
semblent pas avoir été accompagnés de chiens de protection.
Dans ces conditions, les méfaits des bêtes sauvages remettent directement
en cause l’économie locale fondée sur l’agro-pastoralisme. Le fait est
que les assauts des salvatgines se produisent au printemps et en été, au moment
où les troupeaux quittent les villages pour gagner les estives excentrées.
Aussi, les pertes sont-elles d’autant plus dramatiques qu’elles interviennent
à une période au cours de laquelle leurs animaux domestiques doivent
impérativement se nourrir dans les « pacages des montagnes ».
L’urgence de la situation n’échappe d’ailleurs pas aux hommes du roi qui
décident d’une intervention énergique en faisant appel aux officiers de la
louveterie qui prendront l’affaire en main en organisant des battues massives.
15 Arch. dép. Hérault, C 1910. C. FRUHAUF, « La chasse aux loups et aux ours dans les
Fenouillèdes 1785-1786 », Acta biol. Mont., n° 4, 1984, p. 427-436.
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