(Cerdagne) : conflits de propriété et d'usage - Centre de Recherches ...

VÉRONIQUE IZARD
guerre contre les caprins, si farouchement menée par les forestiers du XVIIIe
siècle, préoccupe déjà les autorités du Moyen Âge. Aucun bouc (ne bocs) ni
chèvre (ne cabres) ne devra pacager dans le dit bois44. Cette mesure met la
forêt à l’abri des préjudices qu’ils occasionnent ; en écorçant les arbres ils les
rendent vulnérables, en broutant les jeunes plants, ils réduisent la croissance
ou paralysent toute régénération forestière. Les chèvres sont alors écartées,
soit par des interdictions de pâture, soit par la limitation du nombre de
bêtes45.
La réglementation des pratiques pastorales affecte principalement les
espaces où la diversité des usages est en concurrence. Épargné dans un premier
temps, le pacage dans les forêts d’altitude va progressivement être encadré.
Les conflits qui vont naître entre les communautés d’habitants et les
maîtres de forges, accusés de ruiner les forêts, vont conduire à une circonscription
et un cantonnement plus précis de la dépaissance en haute montagne.
Avec le développement de la mouline hydraulique, pastoralisme et industrie
charbonnière se retrouvent en concurrence sur les mêmes espaces.
Soumis à une exploitation sidérurgique croissante, les peuplements forestiers
subalpins, jusqu’alors sous exploités, sont progressivement menacés. Le pin
et le sapin, essences colonisatrices de ces milieux, n’ont pas la faculté de
repousser de souche comme le hêtre ou le chêne. Grignotées par le bas sous
la cognée meurtrière du charbonnier, pinèdes et sapinières46 se réduisent peu
à peu.
La mouline, au demeurant source de revenus pour certains paysans
locaux et leurs familles47, génère rapidement un climat de tension. Dès 1330,
la communauté de Prats-de-Mollo s’élève contre les propriétaires de forges
accusés de ruiner les forêts, de priver les troupeaux de pâturages non négligeables
et d’abris lors des intempéries. Contestations et oppositions conduisent
le souverain à réglementer de manière plus formelle les usages au sein
des forêts d’altitude. À l’instance des consuls du lieu, le procureur mande le
44 « Tot hom que vula comprar la pastura del bosch quel senyor Rey ha a Cayra aura
assegurar al senyor Rey la preu que y prometra e assegurar aquel de ıııı en ıııı meses…
Empero retenem de la dita venda quel comprador no y met(r)a… ne bocs ne cabres… ».
Arch. dép. Pyr.-Or., 1 B 24, 1330.
45 Ibid.
46 Le sapin était fréquemment exclu du charbonnage et réservé à la production de bois
d’œuvre. L’analyse anthracologique menée sur plusieurs sites de charbonnage d’altitude
révèle néanmoins que cette essence était, de manière licite ou illicite, charbonnée. Si au sein
de certains espaces il ne faisait pas l’objet de protections particulières, ailleurs les
charbonniers n’hésitaient pas à le réduire en charbon malgré les restrictions édictées.
47 V. Izard, Les montagnes du fer … op. cit., tome I, 240 et suiv.
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