Le cabinet des fs, ou collection choisie des contes des fs, et autres ...

4-8
Les mille et une Nuits,
Depuis que ce jeune marchand étoit parti
de Damas , fa mère n'en avoit reçu aucune let-
tre. Cependant les autres marchands avec qui
il avoit entrepris le voyage de Bagdad , étoient
de retour. Ils lui dirent tous qu'ils avoient laifTé
fon fils en parfaite fanté ; mais comme il ne
revenoit point , & qu'il négligeoit de donner
lui-même de fes nouvelles , il n'en fallut pas
davantage pour faire croire à cette tendre mère
qu'il étoit mort. Elle fe le perfuada fi bien ,
qu'elle en prit le deuil. Elle pleura Ganem comme
fi elle l'eût vu mourir , & qu elle lui eût ellemême
fermé les yeux. Jamais mère ne montra
tant de douleur ; & loin de chercher à fe con-
foler , elle prenoit plaifir à nourrir fon affliâion.
Elle fit bâtir au milieu de la cour de fa maifon
un dôme , fous lequel elle mit une figure qui
repréfentoit fon fils , & qu'elle couvrit ellemême
de drap noir. Elle pafToit prefque les
jours & les nuits à pleurer fous ce dôme, de
même que fi le corps de fon fils eût été en-
terré là ; & le belle Force des cœurs , fa fille ,
lui tenoit compagnie , & méloit les pleurs avec
les fiennes.
Il y avoit déjà du tems qu'elles s'occupoient
alnfi à s'affliger, & que le voifinage qui enten-
doit leurs cris & leurs lamentations, plaignoit
des parens fi tendres , lorfque le roi Mohammed