Le cabinet des fs, ou collection choisie des contes des fs, et autres ...

C O N T E s A R À B E s. 61
de diminuer. Leurs difcours rouloient ordinairement
fur lui : elles en demandoient méms
des nouvelles à tous ceux qu'elles rencontroient.
Mais laifTons-là Force des cœurs & fa mère ,
pour revenir à Tourmente.
Elle étoit toujours enfermée très - étroite-
ment dans la tour obfcure , depuis le jour qui
avoit été fi funefte à Ganem & à elle. Cepen-
dant quelque défagréable que lui fût la prifon,
elle en étoit beaucoup moins affligée que du
malheur de Ganem , dont le fort incertain lui
caufoit une inquiétude mortelle. Il n'y avoit
prefque pas de moment qu'elle ne le plaignît.
Une nuit que le calife fe promenoit feul dans
Tenceinte de fon palais , ce qui lui arrivoit alTez
fouvent, car c'étoit le prince du monde le plus
curieux ; & quelquefois dans (es promenades
nofturnes il apprenoit des chofes qui fe paf-
foient dans le palais, & qui fans cela ne fe-
roient jamais venues à fa connoiffance. Une nuit
donc , en fe promenant il pafla près de la tour
obfcure, & comme il crut entendre parler, il
s'arrêta ; il s'approcha de la porte pour mieux
écouter , Se il ouit diftinftement ces paroles, que
Tourmente , toujours en proie au fouvenir de
Ganem , prononça d'une voix affez haute : O
Ganem, trop infortuné Ganem ! où es-tu pré-
i^ntement ? dans quel lieu ton deflin déplorable