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LA NATURE DES CHOSES

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IV ITRODUCTION<br />

guerre anticléricale, ou tout au moins en athéisme irrité.<br />

Enfin l-épicurisme s-assombrit chez lui en pessimisme<br />

d-ailleurs émouvant. Lucrèce est de ceux qui condamnent<br />

la pie, regrettent d-être nés et n-éprouvent que pitié pour<br />

une race d-êtres vivants qu'accablent tous les tourments, que<br />

menacent tant de maladies et autour desquels la mort rôde<br />

au hasard, toujours prête à frapper avant le temps .<br />

Lucrèce semble avoir eu le sentiment que l-épicurisme,<br />

faisant un dogme de l-infaillibilité des sens, prétendant se<br />

livrer à une investigation scienti fique de l-univers, saluant<br />

l'autorité de l-expérience, apportait la doctrine la plus<br />

susceptible de perfectionnement . Mais hélas, son enthousiasme<br />

hyperbolique et sa soumission sans réserves ne<br />

peuvent inspirer qu'une assez médiocre con fiance . Dans<br />

l-exposé du système des atomes notamment, il donne l'impression<br />

de réciter une leçon mal comprise . Ce qui chez<br />

Epicure était hypothèse ingénieuse, vison provisoire du<br />

monde, comme le sont les systèmes chez les grands philosophes<br />

de la Grèce, devient avec Lucrèce une foi de charbonnier.<br />

L'esprit balourd des Romains confronté avec les<br />

plus fins métaphysiciens de l-univers ne pèse nulle part un<br />

si bon poids que dans le De Natura Rerum .<br />

On sait qu'Epicure avait fait sienne la physique déjà<br />

vieillie de Démocrate . Ce n'est certes pas sur Lucrèce<br />

qu-elle ροuνait compter pour se rajeunir . Ce serait un jeu<br />

bien puéril toutefois de relever tout ce qui peut, dans ce<br />

veux livre, scandaliser les modernes si fiers de leurs connaissances<br />

scientifiques ; par exemple, l-existence des antipodes<br />

y est niée ; le soleil et la lune n-y sont pas reconnus<br />

plus grands qu'ils n'apparaissent à notre vue ; la foudre,<br />

les tremblements de terre, aussi bien que le sommeil et<br />

autres actes physiologiques, sont expliqués de façon bien<br />

amusante . . . Mais ne vaut-il pas mieux, après tout, noter<br />

les observations intéressantes qui sont faites, par exemple,<br />

sur la matérialité de l-air ou sur la chute des corps dans<br />

le vide? Ces Anciens ont même eu de curieux pressentiments<br />

; ils ont entrevu la sélection naturelle de Darwin ;<br />

ils ont eu un soupçon des doctrines de Cuvier sur les fossiles ;<br />

INTRODUCTION V<br />

la pluralité des mondes, l-origine relativement récente de<br />

notre univers, l'apparition tardive de l-homme parmi les êtres<br />

vinants, sont autant de thèses qui les rapprochent de nous .<br />

Quant à la théorie atomique, elle semble fige de Lucrèce,<br />

d'Epicure et de Démocrate trois précurseurs prodigieux.<br />

II est certain que la science moderne marche actuellement<br />

dans leur voie . . . Mais peut-être n-est-ce qu'apparence<br />

car les théories de la science contemporaine sont suspendues<br />

à la vertu de l-électricité. En tout cas, si vraiment la vieille<br />

physique épicurienne a eu l-intuition géniale qu'une science<br />

complètement différenciée de la métaphysique paraît confirmer,<br />

il n-en est pis moins vrai que Lucrèce n-y est pas<br />

pour grand-chose . On ne doit soir en lui, sur ce chapitre,<br />

que le plus banal des disciples .<br />

La morale de Lucrèce a les mêmes mérites et les mêmes<br />

inconvénients que celle d-Epicure. Celui-ci était arrivé à<br />

proposer la tempérance comme vertu essentielle , dont toutes<br />

les autres découlent ou qu-elles conditionnent . En pratiquant<br />

la prudence et la justice, en tuant en lui les passions<br />

et en goûtant les plaisirs de l-esprit, le philosophe épicurien<br />

avait conscience d-avoir bien vécu . Mais que de sacrifices!<br />

il ne s-interdisait pas seulement les désirs de luxe, i(<br />

s'efforçait d-éviter tout ce qui pouvait troubler sa sérénité,<br />

les charges de famille aussi bien que la recherche du pouvoir<br />

ou la complaisance à l-amour<br />

. Du moins sauvegard ait-il . Lucrèce l-amitié a dogmatisé sur cette morale en<br />

acceptant tout son ascétisme, mais aussi toute son insensibilité<br />

égoïste, au moins théoriquement . On connaît le cri<br />

fameux : « Suave mari magno . . . » La société est pour lui<br />

une association nécessaire ; le droit n-est qu'un contrat ;<br />

il n-a guère que mépris pour ses contemporains, et que sa<br />

pitié est altière! II ne semble pas se douter que l'épicurisme,<br />

mieux encore que la vieille religion, taillait le joug pour<br />

les Romains et préparait la servitude de leurs âmes . Peutêtre<br />

l-épicurisme n-a-t-il été à Rome, chez les meilleurs et<br />

chez Lucrèce lui-même, qu'use forme de leur pessimisme<br />

et de leur désespoir. Considérons le suicide hypothétique du<br />

poète comme un symbole .

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