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[L'Assassin Royal 3]La nef du crépuscule

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fantômes arpentaient ses ponts, ou des forgisés. Je ne décelais<br />

pas trace de vie en eux, et pourtant ils agissaient de façon<br />

ordonnée ; ils étaient en train de s’apprêter à mettre à l’eau une<br />

petite embarcation. Un homme se tenait sur le gaillard d’arrière<br />

et, de l’instant où je l’aperçus, je ne pus plus le quitter des yeux.<br />

Il était vêtu d’un manteau gris, mais je le vis découpé sur le<br />

ciel noir aussi nettement que s’il était éclairé par une lanterne.<br />

Je suis prêt à jurer avoir vu ses yeux, la saillie de son nez, la<br />

barbe sombre et bouclée qui encadrait sa bouche. Il se moquait<br />

de moi. « En voilà un qui vient se jeter dans nos bras ! » cria-t-il<br />

à quelqu’un, puis il leva la main, me désigna et repartit d’un<br />

nouvel éclat de rire, et je sentis mon cœur se serrer. Il me<br />

regardait avec une intensité effrayante, comme si moi seul étais<br />

sa proie. Je le regardais moi aussi et je le voyais, mais je ne le<br />

percevais pas. Là ! Là ! hurlai-je, à moins que cet Art que je<br />

n’arrivais pas à maîtriser ait répercuté mon cri seulement à<br />

l’intérieur de mon crâne. Je n’obtins aucune réponse. Plus de<br />

Vérité, plus d’Œil-de-Nuit, plus personne, plus rien. J’étais seul.<br />

Le monde entier s’était tu et immobilisé. Plus de mouettes, plus<br />

de poissons dans l’océan, plus de vie nulle part à portée de mes<br />

sens internes. <strong>La</strong> silhouette au manteau gris était penchée sur le<br />

bastingage, son doigt accusateur pointé sur moi. L’homme riait.<br />

J’étais seul. C’était une solitude trop immense pour être<br />

supportable ; elle m’enveloppait, s’enroulait autour de moi,<br />

m’emmaillotait et commençait à m’étouffer.<br />

Je la repoussai.<br />

Par un réflexe que je ne me connaissais pas, je me servis <strong>du</strong><br />

Vif pour l’écarter de moi avec toute la violence dont j’étais<br />

capable. Physiquement, ce fut moi qui fus projeté en arrière ;<br />

j’atterris sur le bouchain, en travers <strong>du</strong> banc de nage, entre les<br />

pieds des rameurs. Mais je vis la silhouette de l’autre bateau<br />

trébucher, se voûter, puis tomber par-dessus bord. Elle ne<br />

souleva pas une grande gerbe d’éclaboussures et il n’y en eut<br />

qu’une. Si l’homme remonta à la surface, je ne le vis pas.<br />

Je n’eus d’ailleurs pas le temps de m’en préoccuper. Le<br />

navire pirate nous heurta par le milieu et fracassa nos avirons<br />

qui projetèrent leurs rameurs en l’air. Nos adversaires hurlèrent<br />

leur assurance avec des grands éclats de rire moqueurs et<br />

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