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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Mon Dieu ! disait le vieillard, ce n'est pas riche, mais la fenêtre est gaie, on voit lemonde dans la rue.Et, <strong>com</strong>me Denise regardait avec surprise l'angle du plafond, au-<strong>des</strong>sus du lit, où unedame de passage avait écrit son nom : Ernestine, en promenant la flamme d'unechandelle, il ajouta d'un air bonhomme :- Si l'on réparait, on ne joindrait jamais les deux bouts...Enfin, voilà tout ce que j'ai.- Je serai très bien, déclara la jeune fille.Elle paya un mois d'avance, demanda le linge, une paire de draps et deux serviettes,et fit son lit sans attendre, heureuse, soulagée de savoir où coucher le soir. Une heureplus tard, elle avait envoyé un <strong>com</strong>missionnaire chercher sa malle, elle était installée.Ce furent d'abord deux mois de terrible gêne. Ne pouvant plus payer la pension dePépé, elle l'avait repris et le couchait sur une vieille bergère prêtée par Bourras. Il luifallait strictement trente sous chaque jour, le loyer <strong>com</strong>pris, en consentant à vivreelle-même de pain sec, pour donner un peu de viande à l'enfant. La premièrequinzaine encore, les choses marchèrent : elle était entrée avec dix francs en ménage,puis elle eut la chance de retrouver l'entrepreneuse de cravates, qui lui paya ses dixhuitfrancs trente. Mais, ensuite, son dénuement devint <strong>com</strong>plet. Elle eut beau seprésenter dans les magasins, à la place Clichy, au Bon Marché, au Louvre : la mortesaisonarrêtait partout les affaires, on la renvoyait à l'automne, plus de cinq milleemployés de <strong>com</strong>merce, congédiés <strong>com</strong>me elle, battaient le pavé, sans place. Alors,elle tâcha de se procurer de petits travaux ; seulement dans son ignorance de Paris,elle ne savait où frapper, acceptait <strong>des</strong> besognes ingrates, ne touchait même pastoujours son argent. Certains soirs, elle faisait dîner Pépé tout seul, d'une soupe, enlui disant qu'elle avait mangé dehors ; et elle se mettait au lit, la tête bourdonnante,nourrie par la fièvre qui lui brûlait les mains. Lorsque Jean tombait au milieu de cettepauvreté, il se traitait de scélérat, avec une telle violence de désespoir, qu'elle étaitobligée de mentir ; souvent, elle trouvait encore le moyen de lui glisser une pièce dequarante sous, pour lui prouver qu'elle avait <strong>des</strong> économies. Jamais elle ne pleuraitdevant ses enfants. Les dimanches où elle pouvait faire cuire un morceau de veaudans la cheminée, à genoux sur le carreau, l'étroite pièce retentissait d'une gaieté degamins, insoucieux de l'existence. Puis, Jean retourné chez son patron, Pépé endormi,elle passait une nuit affreuse, dans l'angoisse du lendemain.D'autres craintes la tenaient éveillée. Les deux dames du premier recevaient <strong>des</strong>visites très tard ; et parfois un homme se trompait, montait donner <strong>des</strong> coups depoing dans sa porte.Bourras lui ayant dit tranquillement de ne pas répondre, elle s'enfonçait la tête sousl'oreiller, pour échapper aux jurons. Puis, son voisin, le boulanger, avait voulu rire ;celui-là ne rentrait que le matin, la guettait, quand elle allait chercher son eau ; ilfaisait même <strong>des</strong> trous dans la cloison, la regardait se débarbouiller, ce qui la forçait àpendre ses vêtements le long du mur.Mais elle souffrait davantage encore <strong>des</strong> importunités de la rue, de la continuelleobsession <strong>des</strong> passants. Elle ne pouvait <strong>des</strong>cendre acheter une bougie, sur cestrottoirs boueux où rôdait la débauche <strong>des</strong> vieux quartiers, sans entendre derrière elleun souffle ardent, <strong>des</strong> paroles crues de convoitise ; et les hommes la poursuivaientjusqu'au fond de l'allée noire, encouragé par l'aspect sordide de la maison. Pourquoidonc n'avait-elle pas un amant? cela étonnait, semblait ridicule. Il faudrait bien qu'ellesuc<strong>com</strong>bât un jour. Elle-même n'aurait pu expliquer <strong>com</strong>ment elle résistait, sous lamenace de la faim, et dans le trouble <strong>des</strong> désirs dont on chauffait l'air autour d'elle.Un soir, Denise n'avait pas même de pain pour la soupe de Pépé, lorsqu'un monsieurdécoré s'était mis à la suivre. Devant l'allée, il devint brutal, et ce fut dans une révoltede dégoût qu'elle lui jeta la porte au visage. Puis, en haut, elle s'assit, les mainstremblantes. Le petit dormait. Que répondrait-elle s'il s'éveillait et s'il demandait àmanger ? Cependant, elle n'aurait eu qu'à consentir. Sa misère finissait, elle avait de100

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