aperçut l'un <strong>des</strong> ascenseurs; et elle y poussa les enfants, pour <strong>com</strong>pléter la partie.Mme Marty et Valentine entrèrent aussi dans l'étroite cage, où l'on fut très serré ;mais les glaces, les banquettes de velours, la porte de cuivre ouvragé, les occupaientà ce point qu'elles arrivèrent au premier étage, sans avoir senti le glissement doux dela machine. Un autre régal les attendait d'ailleurs, dès la galerie <strong>des</strong> dentelles. Commeon passait devant le buffet, Mme Bourdelais ne manqua pas de gorger la petite famillede sirop. C'était une salle carrée, avec un large <strong>com</strong>ptoir de marbre; aux deux bouts,<strong>des</strong> fontaines argentées laissaient couler un mince filet d'eau ; derrière, sur <strong>des</strong>tablettes, s'alignaient <strong>des</strong> bouteilles. Trois garçons, continuellement, essuyaient etemplissaient les verres. Pour contenir la clientèle altérée, on avait dû établir unequeue, ainsi qu'aux portes <strong>des</strong> théâtres, à l'aide d'une barrière recouverte de velours.La foule s'y écrasait. Des personnes, perdant tout scrupule devant ces gourmandisesgratuites, se rendaient mala<strong>des</strong>.- Eh bien! où sont-elles donc? s'écria Mme Bourdelais, lorsqu'elle se dégagea de lacohue, après avoir essuyé les enfants avec son mouchoir.Mais elle aperçut Mme Marty et Valentine au fond d'une autre galerie, très loin. Toutesdeux, noyées sous un déballage de jupons, achetaient encore. C'était fini, la mère etla fille disparurent dans la fièvre de dépense qui les emportait.Quand elle arriva enfin au salon de lecture et de correspondance, Mme Bourdelaisinstalla Madeleine, Edmond et Lucien devant la grande table ; puis, elle prit ellemême,dans une bibliothèque, <strong>des</strong> albums de photographies qu'elle leur apporta. Lavoûte de la longue salle était chargée d'or; aux deux extrémités, <strong>des</strong> cheminéesmonumentales se faisaient face; de médiocres tableaux, très richement encadrés,couvraient les murs; et, entre les colonnes, devant chacune <strong>des</strong> baies cintrées quiouvraient sur les magasins, il y avait de hautes plantes vertes, dans <strong>des</strong> vases demajolique. Tout un public silencieux entourait la table, en<strong>com</strong>brée de revues et dejournaux, garnie de papeteries et d'encriers. Des dames ôtaient leurs gants, écrivaient<strong>des</strong> lettres sur du papier au chiffre de la maison, dont elles biffaient l'en-tête d'un traitde plume. Quelques hommes, renversés au fond de leurs fauteuils, lisaient <strong>des</strong>journaux. Mais beaucoup de personnes restaient là sans rien faire: maris attendantleurs femmes lâchées au travers <strong>des</strong> rayons, jeunes dames discrètes guettant l'arrivéed'un amant, vieux parents déposés <strong>com</strong>me au vestiaire, pour être repris à la sortie. Etce monde, assis mollement, se reposait, jetait <strong>des</strong> coups d'oeil, par les baies ouvertes,sur les profondeurs <strong>des</strong> galeries et <strong>des</strong> halls, dont la voix lointaine montait, dans lepetit bruit <strong>des</strong> plumes et le froissement <strong>des</strong> journaux.- Comment! vous voilà ! dit Mme Bourdelais. Je ne vous reconnaissais pas. Près <strong>des</strong>enfants, une dame disparaissait entre les pages d'une revue. C'était Mme Guibal. Ellesembla contrariée de la rencontre. Mais elle se remit tout de suite, raconta qu'elle étaitmontée s'asseoir un peu, pour échapper à l'écrasement de la foule. Et, <strong>com</strong>me MmeBourdelais lui demandait si elle était venue faire <strong>des</strong> emplettes, elle répondit de sonair de langueur, en éteignant de ses paupières l'âpreté égoïste de son regard :- Oh ! non... <strong>Au</strong> contraire, je suis venue rendre. Oui, <strong>des</strong> portières, dont je ne suis passatisfaite. Seulement, il y a un tel monde, que j'attends de pouvoir approcher durayon.Elle causa, dit que c'était bien <strong>com</strong>mode, ce mécanisme <strong>des</strong> rendus ; auparavant, ellen'achetait jamais, tandis que, maintenant, elle se laissait tenter parfois. À la vérité,elle rendait quatre objets sur cinq, elle <strong>com</strong>mençait à être connue de tous les<strong>com</strong>ptoirs, pour les négoces étranges, flairés sous l'éternel mécontentement qui luifaisait rapporter les articles un à un, après les avoir gardés plusieurs jours. Mais, enparlant, elle ne quittait pas <strong>des</strong> yeux les portes du salon ; et elle parut soulagée,quand Mme Bourdelais retourna vers ses enfants, afin de leur expliquer lesphotographies. Presque au même moment,134
M. de Boves et Paul de Vallagnosc entrèrent. Le <strong>com</strong>te, qui affectait de faire visiter aujeune homme les nouveaux magasins, échangea avec elle un vif regard ; puis, elle sereplongea dans sa lecture, <strong>com</strong>me si elle ne l'avait pas aperçu.- Tiens ! Paul ! dit une voix derrière ces messieurs.C'était Mouret, en train de donner son coup d'oeil aux divers services. Les mains setendirent, et il demanda tout de suite :- Mme de Boves nous a-t-elle fait l'honneur de venir ?- Mon Dieu ! non, répondit le <strong>com</strong>te, et à son grand regret.Elle est souffrante, oh ! rien de dangereux.Mais brusquement, il feignit de voir Mme Guibal. Il s'échappa, s'approcha, tête nue ;tandis que les deux autres se contentaient de la saluer de loin. Elle, également, jouaitla surprise. Paul avait eu un sourire ; il <strong>com</strong>prenait enfin, il raconta tout bas à Mouret<strong>com</strong>ment le <strong>com</strong>te, rencontré par lui rue Richelieu, s'était efforcé de lui échapper etavait pris le parti de l'entraîner au <strong>Bonheur</strong>, sous le prétexte qu'il fallait absolumentvoir ça. Depuis un an, la dame tirait de ce dernier l'argent et le plaisir qu'elle pouvait,n'écrivant jamais, lui donnant rendez-vous dans <strong>des</strong> lieux publics, les églises, lesmusées, les magasins, pour s'entendre.- Je crois qu'à chaque rendez-vous, ils changent de chambre d'hôtel, murmurait lejeune homme. L'autre mois, il était en tournée d'inspection, il écrivait à sa femme tousles deux jours, de Blois, de Libourne, de Tarbes; et je suis pourtant convaincu del'avoir vu entrer dans une pension bourgeoise <strong>des</strong> Batignolles... Mais, regarde-le donc! est-il beau, devant elle, avec sa correction de fonctionnaire ! La vieille France ! monami, la vieille France !- Et ton mariage ? demanda Mouret. Paul, sans quitter le <strong>com</strong>te <strong>des</strong> yeux, réponditqu'on attendait toujours la mort de la tante. Puis, l'air triomphant:- Hein ? tu as vu ? il s'est baissé, il lui a glissé une adresse.La voilà qui accepte, de sa mine la plus vertueuse : une terrible femme, cette roussedélicate, aux allures insouciantes... Eh bien ! il se passe de jolies choses chez toi !- Oh ! dit Mouret en souriant, ces dames ne sont point ici chez moi, elles sont chezelles.Ensuite, il plaisanta. L'amour, <strong>com</strong>me les hirondelles, portait bonheur aux maisons.Sans doute, il les connaissait, les filles qui battaient les <strong>com</strong>ptoirs, les dames qui, parhasard, y rencontraient un ami ; mais si elles n'achetaient pas, elles faisaient nombre,elles chauffaient les magasins. Tout en causant, il emmena son ancien condisciple, il leplanta au seuil du salon, en face de la grande galerie centrale, dont les halls successifsse déroulaient à leurs pieds. Derrière eux, le salon gardait son recueillement, sespetits bruits de plumes nerveuses et de journaux froissés. Un vieux monsieur s'étaitendormi sur le Moniteur. M. de Boves examinait les tableaux, avec l'intention évidentede perdre dans la foule son futur gendre. Et, seule, au milieu de ce calme, MmeBourdelais égayait ses enfants, très haut, <strong>com</strong>me en pays conquis.- Tu le vois, elles sont chez elles, répéta Mouret, qui montrait d'un geste largel'entassement de femmes dont craquaient les rayons.Justement, Mme Desforges, après avoir failli laisser son manteau dans la foule, entraitenfin et traversait le premier hall.Puis, arrivée à la grande galerie, elle leva les yeux. C'était <strong>com</strong>me une nef de gare,entourée par les rampes <strong>des</strong> deux étages, coupée d'escaliers suspendus, traversée deponts volants.Les escaliers de fer, à double révolution, développaient <strong>des</strong> courbes hardies,multipliaient les paliers ; les ponts de fer, jetés sur le vide, filaient droit, très haut ; ettout ce fer mettait là, sous la lumière blanche <strong>des</strong> vitrages, une architecture légère,une dentelle <strong>com</strong>pliquée où passait le jour, la réalisation moderne d'un palais du rêve,d'une Babel entassant <strong>des</strong> étages, élargissant <strong>des</strong> salles, ouvrant <strong>des</strong> échappées surd'autres étages et d'autres salles, à l'infini. Du reste, le fer régnait partout, le jeunearchitecte avait eu l'honnêteté et le courage de ne pas le déguiser sous une couche de135
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lentement au milieu des commis resp
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gentil, chez lequel elle passait to
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descendirent à Joinville, passère
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pair, il couchait au magasin, où i
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faire un scandale... Que diable ! t
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