- Bonne chance !- Oui, bonne chance !IIIChaque samedi, de quatre à six, Mme Desforges offrait une tasse de thé et <strong>des</strong>gâteaux aux personnes de son intimité, qui voulaient bien la venir voir. L'appartementse trouvait au troisième, à l'encoignure <strong>des</strong> rues de Rivoli et d'Alger; et les fenêtres<strong>des</strong> deux salons ouvraient sur le Jardin <strong>des</strong> Tuileries.Justement, ce samedi-là, <strong>com</strong>me un domestique allait l'introduire dans le grand salon,Mouret aperçut de l'antichambre, par une porte restée ouverte, Mme Desforges quitraversait le petit salon. Elle s'était arrêtée en le voyant, et il entra par là, il la saluad'un air de cérémonie. Puis, quand le domestique eut refermé la porte, il saisitvivement la main de la jeune femme, qu'il baisa avec tendresse.- Prends garde, il y a du monde ! dit-elle tout bas, en désignant d'un signe la porte dugrand salon. Je suis allée chercher cet éventail pour le leur montrer.Et, du bout de l'éventail, elle lui donna gaiement un léger coup au visage. Elle étaitbrune, un peu forte, avec de grands yeux jaloux. Mais il avait gardé sa main, ildemanda :- Viendra-t-il ?- Sans doute, répondit-elle. J'ai sa promesse.Tous deux parlaient du baron Hartmann, directeur du Crédit Immobilier. MmeDesforges, fille d'un conseiller d'Etat, était veuve d'un homme de Bourse qui lui avaitlaissé une fortune, niée par les uns, exagérée par les autres. Du vivant même decelui-ci, disait-on, elle s'était montrée reconnaissante pour le baron Hartmann, dontles conseils de grand financier profitaient au ménage ; et, plus tard, après la mort dumari, la liaison devait avoir continué, mais toujours discrètement, sans uneimprudence, sans un éclat. Jamais Mme Desforges ne s'affichait, on la recevaitpartout, dans la haute bourgeoisie où elle était née. Même aujourd'hui que la passiondu banquier, homme sceptique et fin, tournait à une simple affection paternelle, si ellese permettait d'avoir <strong>des</strong> amants qu'il lui tolérait, elle apportait, dans ses coups decoeur, une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitementappliquée, que les apparences restaient sauves et que personne ne se serait permis demettre tout haut son honnêteté en doute. Ayant rencontré Mouret chez <strong>des</strong> amis<strong>com</strong>muns, elle l'avait détesté d'abord ; puis, elle s'était donnée plus tard, <strong>com</strong>meemportée dans le brusque amour dont il l'attaquait, et, depuis qu'il manoeuvrait demanière à tenir par elle le baron, elle se prenait peu à peu d'une tendresse vraie etprofonde, elle l'adorait avec la violence d'une femme de trente-cinq ans déjà, qui n'enavouait que vingt-neuf, désespérée de le sentir plus jeune, tremblant de le perdre.- Est-il au courant ? reprit-il.- Non, vous lui expliquerez vous-même l'affaire, répondit-elle, cessant de le tutoyer.32
Elle le regardait, elle songeait qu'il ne devait rien savoir, pour l'employer ainsi auprèsdu baron, en affectant de le considérer simplement <strong>com</strong>me un vieil ami à elle. Mais illui tenait toujours la main, il l'appelait sa bonne Henriette, et elle sentit son coeur sefondre. Silencieusement, elle tendit les lèvres, les appuya sur les siennes ; puis, à voixbasse :- Chut ! on m'attend... Entre derrière moi.Des voix légères venaient du grand salon, assourdies par les tentures. Elle poussa laporte, dont elle laissa les deux battants ouverts, et elle remit l'éventail à une <strong>des</strong>quatre dames qui étaient assises au milieu de la pièce.- Tenez ! le voilà, dit-elle. Je ne savais plus, jamais ma femme de chambre ne l'auraittrouvé.Et, se tournant, elle ajouta de son air gai :- Entrez donc, monsieur Mouret, passez par le petit salon.Ce sera moins solennel.Mouret salua ces dames, qu'il connaissait. Le salon, avec son meuble Louis XVI debrocatelle à bouquets, ses bronzes dorés, ses gran<strong>des</strong> plantes vertes, avait uneintimité tendre de femme, malgré la hauteur du plafond ; et par les deux fenêtres, onapercevait les marronniers <strong>des</strong> Tuileries, dont le vent d'octobre balayait les feuilles.- Mais il n'est pas vilain du tout, ce Chantilly! s'écria Mme Bourdelais, qui tenaitl'éventail.C'était une petite blonde de trente ans, le nez fin, les yeux vifs, une amie de pensiond'Henriette, qui avait épousé un sous-chef du ministère <strong>des</strong> Finances. De vieille famillebourgeoise, elle menait son ménage et ses trois enfants, avec une activité, une bonnegrâce, un flair exquis de la vie pratique.- Et tu as payé le morceau vingt-cinq francs ? reprit-elle en examinant chaque maillede la dentelle. Hein? tu dis à Luc, chez une ouvrière du pays ?... Non, non, ce n'estpas cher...Mais il a fallu que tu le fisses monter.- Sans doute, répondit Mme Desforges. La monture ne coûte deux cents francs.Alors, Mme Bourdelais se mit à rire. Si c'était là ce qu'Henriette appelait une occasion !Deux cents francs, une simple monture d'ivoire, avec un chiffre ! et pour un bout deChantilly, qui lui avait bien fait économiser cent sous ! On trouvait à cent vingt francsles mêmes éventails tout montés. Elle cita une maison, rue Poissonnière.Cependant, l'éventail faisait le tour de ces dames. Mme Guibal lui accorda à peine uncoup d'oeil. Elle était grande et mince, de cheveux roux, avec un visage noyéd'indifférence, où ses yeux gris mettaient par moments, sous son air détaché, lesterribles faims de l'égoïsme. Jamais on ne la voyait en <strong>com</strong>pagnie de son mari, unavocat connu au Palais, qui, disait-on, menait de son côté la vie libre, tout à ses loisirset à ses plaisirs.- Oh ! murmura-t-elle en passant l'éventail à Mme de Boves, je n'en ai pas achetédeux dans ma vie... On vous en donne toujours de trop.La <strong>com</strong>tesse répondit d'une voix finement ironique :- Vous êtes heureuse, ma chère, d'avoir un mari galant.Et, se penchant vers sa fille, une grande personne de vingt ans et demi :- Regarde donc le chiffre, Blanche. Quel joli travail !... C'est le chiffre qui a dûaugmenter ainsi la monture.Mme de Boves venait de dépasser la quarantaine. C'était une femme superbe, àencolure de déesse, avec une grande face régulière et de larges yeux dormants, queson mari, inspecteur général <strong>des</strong> haras, avait épousée pour sa beauté. Elle paraissaittoute remuée par la délicatesse du chiffre, <strong>com</strong>me envahie d'un désir dont l'émotionpâlissait son regard. Et, brusquement :- Donnez-nous donc votre avis, Monsieur Mouret. Est-ce trop cher, deux cents francs,cette monture ?33
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Jean recommençait :- Le mari qui a
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pouvoir s'arrêter, marchait toujou
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