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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Ils parlaient de Mouret. L'année précédente, ce dernier s'était pris d'une brusquetendresse pour Bouthemont, au point de l'admettre dans ses plaisirs ; et même ill'avait introduit chez Henriette, heureux d'avoir un <strong>com</strong>plaisant à demeure, qui égayaitun peu une liaison dont il se fatiguait. C'était ainsi que le premier à la soie avait finipar devenir le confident de son patron et de la jolie veuve : il faisait leurs petites<strong>com</strong>missions, causait de l'un avec l'autre, les rac<strong>com</strong>modait parfois.Henriette, dans les crises de sa jalousie, s'abandonnait à une intimité dont il restaitsurpris et embarrassé, car elle perdait ses prudences de femme du monde, mettantson art à sauver les apparences.Elle s'écria violemment :- Il fallait l'amener. J'aurais été sûre.- Dame! dit-il avec un rire bon garçon, ce n'est pas ma faute, s'il s'échappe toujours, àprésent... Oh! il m'aime bien quand même. Sans lui, j'aurais du mal là-bas.En effet, sa situation au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> était menacée, depuis le dernierinventaire. Il avait eu beau prétexter la saison pluvieuse, on ne lui pardonnait pas lestock considérable <strong>des</strong> soies de fantaisie ; et, <strong>com</strong>me Hutin exploitait l'aventure, leminait auprès <strong>des</strong> chefs avec un redoublement de rage sournoise, il sentait très bien lesol craquer sous lui. Mouret l'avait condamné, ennuyé sans doute maintenant de cetémoin qui le gênait pour rompre, las d'une familiarité sans bénéfices.Mais, selon son habituelle tactique, il poussait Bourdoncle en avant: c'était Bourdoncleet les autres intéressés qui exigeaient le renvoi, à chaque conseil ; tandis que luirésistait, disait-il, défendait son ami énergiquement, au risque <strong>des</strong> plus gros embarras.- Enfin, je vais attendre, reprit Mme Desforges. Vous savez que cette fille doit être icià cinq heures... Je veux les mettre en présence. Il faut que j'aie leur secret.Et elle revint sur ce plan médité, elle répéta, dans sa fièvre, qu'elle avait fait prierMme <strong>Au</strong>rélie de lui envoyer Denise, pour voir un manteau qui allait mal. Quand elletiendrait la jeune fille au fond de sa chambre, elle trouverait bien le moyen d'appelerMouret ; et elle agirait ensuite.Bouthemont, assis en face d'elle, la regardait de ses beaux yeux rieurs, qu'il tâchait derendre graves. Ce joyeux <strong>com</strong>père à la barbe d'un noir d'encre, ce noceur braillarddont le sang chaud de Gascon empourprait la face, songeait que les femmes. dumonde n'étaient guère bonnes, et qu'elles lâchaient un joli déballage, quand ellesosaient vider leur sac. Certainement, les maîtresses de ses amis, <strong>des</strong> filles deboutique, ne se permettaient pas de confidences plus <strong>com</strong>plètes.- Voyons, se hasarda-t-il à dire, qu'est ce que ça peut vous faire, puisque je vous jurequ'il n'y a absolument rien entre eux ?- Justement ! cria-t-elle, il l'aime, celle-là... Je me moque <strong>des</strong> autres, de simplesrencontres, <strong>des</strong> hasards d'un jour!Elle parla de Clara avec dédain. On lui avait bien dit que Mouret, après les refus deDenise, s'était rejeté sur cette grande rousse à tête de cheval, sans doute par calcul ;car il la maintenait au rayon, pour l'afficher, en la <strong>com</strong>blant de cadeaux.D'ailleurs, depuis près de trois mois, il menait une vie terrible de plaisirs, semantl'argent avec une prodigalité dont on causait : il avait acheté un hôtel à une rouleusede coulisses, il était mangé par deux ou trois autres coquines à la fois, qui semblaientlutter de caprices coûteux et bêtes.- C'est la faute de cette créature, répétait Henriette. Je sens qu'il se ruine avecd'autres, parce qu'elle le repousse... Du reste, que m'importe son argent ! Je l'auraismieux aimé pauvre. Vous savez <strong>com</strong>me je l'aime, vous qui êtes devenu notre ami.Elle s'arrêta, étranglée, près d'éclater en larmes ; et, d'un mouvement d'abandon, ellelui tendit les deux mains. C'était vrai, elle adorait Mouret pour sa jeunesse et sestriomphes, jamais un homme ne l'avait ainsi prise tout entière, dans un frisson de sachair et de son orgueil; mais, à la pensée de le perdre, elle entendait aussi sonner leglas de la quarantaine, elle se demandait avec terreur <strong>com</strong>ment remplacer ce grandamour.165

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