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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Une émotion étranglait sa voix. Il se moucha pour se remettre, il demanda :- Tu ne dis rien ?Mais Colomban n'avait rien à dire. Il hochait la tête, il attendait, de plus en plustroublé, croyant deviner où allait en venir le patron. C'était le mariage à bref délai.Comment refuser ?Jamais il n'aurait la force. Et l'autre, celle dont il rêvait la nuit, la chair brûlée d'unetelle flamme, qu'il se jetait tout nu sur le carreau, de peur d'en mourir !- <strong>Au</strong>jourd'hui, continua Baudu, voilà un argent qui peut nous sauver. La situationdevient plus mauvaise chaque jour, mais peut-être qu'en faisant un suprême effort...Enfin, je tenais à t'avertir. Nous allons risquer le tout pour le tout. Si nous sommesbattus, eh bien ! ça nous enterrera... Seulement, mon pauvre garçon, votre mariage,du coup, va être encore reculé, car je ne veux pas vous jeter tout seuls dans labagarre. Ce serait trop lâche, n'est-ce pas ?Colomban, soulagé, s'était assis sur <strong>des</strong> pièces de molleton.Ses jambes gardaient un tremblement. Il craignait de laisser voir sa joie, il baissait latête, en roulant les doigts sur les genoux.- Tu ne dis rien ? répéta Baudu.Non, il ne disait rien, il ne trouvait rien à dire. Alors, le drapier reprit avec lenteur :- J'étais sûr que ça te chagrinerait... Il te faut du courage.Secoue-toi un peu, ne reste pas écrasé ainsi... Surtout, <strong>com</strong>prends bien ma position.Puis-je vous attacher au cou un pareil pavé? <strong>Au</strong> lieu de vous laisser une bonne affaire,je vous laisserais une faillite peut-être. Non, les coquins seuls se permettent de cestours-là... Sans doute, je ne désire que votre bonheur, mais jamais on ne me fera allercontre ma conscience. Et il parla longtemps de la sorte, se débattant au milieu dephrases contradictoires, en homme qui aurait voulu être deviné à demi-mot et avoir lamain forcée. Puisqu'il avait promis sa fille et la boutique, la stricte probité le forçait àdonner les deux en bon état, sans tares ni dettes. Seulement, il était las, le fardeau luisemblait trop lourd, <strong>des</strong> supplications perçaient dans sa voix balbutiante. Les motss'embrouillaient davantage sur ses lèvres, il attendait, chez Colomban, un élan, un cridu coeur, qui ne venait point.- Je sais bien, murmura-t-il, que les vieux manquent de flamme... Avec <strong>des</strong> jeunes,les choses se rallument. Ils ont le feu au corps, c'est naturel... Mais, non, non, je nepuis pas, parole d'honneur ! Si je vous cédais, vous me le reprocheriez plus tard.Il se tut, frémissant ; et, <strong>com</strong>me le jeune homme demeurait toujours la tête basse, illui demanda pour la troisième fois, au bout d'un silence pénible :- Tu ne dis rien ?Enfin, sang le regarder, Colomban répondit :- Il n'y a rien à dire... Vous êtes le maître, vous avez plus de sagesse que nous tous.Puisque vous l'exigez, nous attendrons, nous tâcherons d'être raisonnables.C'était fini, Baudu espérait encore qu'il allait se jeter dans ses bras, en criant : " Père,reposez-vous, nous nous battrons à notre tour, donnez-nous la boutique telle qu'elleest, pour que nous fassions le miracle de la sauver ! " Puis, il le regarda, et il fut prisde honte, il s'accusa sourdement d'avoir voulu duper ses enfants. La vieille honnêtetémaniaque du boutiquier se réveillait en lui ; c'était ce garçon prudent qui avait raison,car il n'y a pas de sentiment dans le <strong>com</strong>merce, il n'y a que <strong>des</strong> chiffres. - Embrassemoi,mon garçon, dit-il pour conclure. C'est décidé, nous ne reparlerons du mariageque dans un an. Avant tout, il faut songer au sérieux.Le soir, dans leur chambre, quand Mme Baudu questionna son mari sur le résultat del'entretien, celui-ci avait retrouvé son obstination à <strong>com</strong>battre en personne, jusqu'aubout. Il fit un grand éloge de Colomban : un garçon solide, ferme dans ses idées,élevé d'ailleurs selon les bons principes, incapable par exemple de rire avec lesclientes, ainsi que les godelureaux du <strong>Bonheur</strong>. Non, c'était honnête, c'était de lafamille, ça ne jouait pas sur la vente <strong>com</strong>me sur une valeur de Bourse.- Alors, à quand le mariage ? demanda Mme Baudu.122

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