- Veuillez porter ça à la caisse 10... Pour Mme Desforges.Comme elle s'éloignait, elle reconnut près d'elle Mme Marty, ac<strong>com</strong>pagnée de sa filleValentine, une grande demoiselle de quatorze ans, maigre et hardie, qui jetait déjà surles marchandises <strong>des</strong> regards coupables de femme.- Tiens ! c'est vous, chère madame ?- Mais oui, chère madame... Hein ? quelle foule !- Oh ! ne m'en parlez pas, on étouffe. Un succès I... Avez-vous vu le salon oriental ?- Superbe ! inouï !Et, au milieu <strong>des</strong> coups de coude, bousculées par le flot croissant <strong>des</strong> petites boursesqui se jetaient sur les lainages à bon marché, elles se pâmèrent au sujet del'exposition <strong>des</strong> tapis.Puis, Mme Marty expliqua qu'elle cherchait une étoffe pour un manteau ; mais ellen'était pas fixée, elle avait voulu se faire montrer du matelassé de laine.- Regarde donc, maman, murmura Valentine, c'est trop <strong>com</strong>mun.- Venez à la soie, dit Mme Desforges. Il faut voir leur fameux Paris-<strong>Bonheur</strong>.Un instant, Mme Marty hésita. Ce serait bien cher, elle avait si formellement juré à sonmari d'être raisonnable ! Depuis une heure, elle achetait, tout un lot d'articles lasuivait déjà, un manchon et <strong>des</strong> ruches pour elle, <strong>des</strong> bas pour sa fille. Elle finit pardire au <strong>com</strong>mis qui lui montrait le matelassé :- Eh bien ! non, je vais à la soie... Tout cela ne fait pas mon affaire.je <strong>com</strong>mis prit les articles et marcha devant ces dames.A la soie, la foule était aussi venue. On s'écrasait surtout devant l'étalage intérieur,dressé par Hutin, et où Mouret avait donné les touches du maître. C'était, au fond duhall, autour d'une <strong>des</strong> colonnettes de fonte qui soutenaient le vitrage, <strong>com</strong>me unruissellement d'étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut et s'élargissantjusqu'au parquet. Des satins clairs et <strong>des</strong> soies tendres jaillissaient d'abord : les satinsà la reine, les satins renaissance, aux tons nacrés d'eau de source ; les soies légèresaux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien, rose de mai, bleu Danube. Puis,venaient <strong>des</strong> tissus plus forts, les satins merveilleux, les soies duchesse, teinteschau<strong>des</strong>, roulant à flots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient lesétoffes, lour<strong>des</strong>, les armures façonnées, les damas, les brocarts, les soies perlées etlamées, au milieu d'un lit profond de velours, tous les velours, noirs, blancs, decouleur, frappés à fond de soie ou de satin, creusant avec leurs taches mouvantes unlac immobile où semblaient danser <strong>des</strong> reflets de ciel et de paysage. Des femmes,pâles de désirs, se penchaient <strong>com</strong>me pour se voir. Toutes, en face de cette cataractelâchée, restaient debout, avec la peur sourde d'être prises dans le débordement d'unpareil luxe et avec l'irrésistible envie de s'y jeter et de s'y perdre.- Te voilà donc! dit Mme Desforges, en trouvant Mme Bourdelais installée devant un<strong>com</strong>ptoir.- Tiens ! bonjour ! répondit celle-ci, qui serra les mains à ces dames. Oui, je suisentrée donner un coup d'oeil.- Hein ? c'est prodigieux, cet étalage ! On en rêve... Et le salon oriental, as-tu vu lesalon oriental ?- Oui, oui, extraordinaire !Mais, sous cet enthousiasme qui allait être décidément la note élégante du jour, MmeBourdelais gardait son sang-froid de ménagère pratique. Elle examinait avec soin unepièce de Paris-<strong>Bonheur</strong>, car elle était uniquement venue pour profiter du bon marchéexceptionnel de cette soie, si elle la jugeait réellement avantageuse. Sans doute elleen fut contente, elle en demanda vingt-cinq mètres, <strong>com</strong>ptant bien couper là-dedansune robe pour elle et un paletot pour sa petite fille.- Comment ! tu pars déjà ? reprit Mme Desforges. Fais donc un tour avec nous.- Non, merci, on m'attend chez moi... Je n'ai pas voulu risquer les enfants dans cettefoule.56
Et elle s'en alla, précédée du vendeur qui portait les vingt-cinq mètres de soie, et quila conduisit à la caisse 10, où le jeune Albert perdait la tête, au milieu <strong>des</strong> deman<strong>des</strong>de factures dont il était assiégé. Quand le vendeur put s'approcher, après avoir débitésa vente d'un trait de crayon sur son cahier à souches, il appela cette vente, que lecaissier inscrivit au registre ; puis, il y eut un contre-appel, et la feuille détachée ducahier fut embrochée dans une pique de fer, près du timbre aux acquits.- Cent quarante francs, dit Albert.Mme Bourdelais paya et donna son adresse, car elle était à pied, elle ne voulait pass'embarrasser les mains. Déjà, derrière la caisse, Joseph tenait la soie, l'empaquetait;et le paquet, jeté dans un panier roulant, fut <strong>des</strong>cendu au service du départ, où toutesles marchandises du magasin semblaient maintenant vouloir s'engouffrer avec un bruitd'écluse.Cependant, l'en<strong>com</strong>brement devenait tel à la soie, que Mme Desforges et Mme Martyne purent d'abord trouver un <strong>com</strong>mis libre. Elles restèrent debout, mêlées à la foule<strong>des</strong> dames qui regardaient les étoffes, les tâtaient, stationnaient là <strong>des</strong> heures, sansse décider. Mais un grand succès s'indiquait surtout pour le Paris-<strong>Bonheur</strong>, autourduquel grandissait une de ces poussées d'engouement, dont la brusque fièvre décided'une mode en un jour. Tous les vendeurs n'étaient occupés qu'à métrer de cette soie; on voyait, au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> chapeaux, luire l'éclair pâle <strong>des</strong> lés dépliés, dans lecontinuel va-et-vient <strong>des</strong> doigts le long <strong>des</strong> mètres de chêne, suspendus à <strong>des</strong> tiges decuivre ; on entendait le bruit <strong>des</strong> ciseaux mordant le tissu, et cela sans arrêt, au fur età mesure du déballage, <strong>com</strong>me s'il n'y avait pas eu assez de bras pour suffire auxmains gloutonnes et tendues <strong>des</strong> clientes.- C'est qu'elle n'est vraiment pas vilaine pour cinq francs soixante, dit Mme Desforges,qui avait réussi à s'emparer d'une pièce, sur le bord d'une table.Mme Marty et sa fille Valentine éprouvaient une désillusion. Les journaux en avaienttant parlé, qu'elles s'attendaient à quelque chose de plus fort et de plus brillant. MaisBouthemont venait de reconnaître Mme Desforges, et désireux de faire sa cour à unebelle personne qu'on prétendait toute puissante sur le patron, il s'avançait avec sonamabilité un peu grosse. Comment! on ne la servait pas! c'était impardonnable ! Elledevait se montrer indulgente, car on ne savait vraiment plus où donner de la tête. Et ilcherchait <strong>des</strong> chaises au milieu <strong>des</strong> jupes voisines, il riait de son rire bon enfant, où ily avait un amour brutal de la femme, qui ne semblait pas déplaire à Henriette.- Dites donc, murmura Favier, en allant prendre un carton de velours dans une case,derrière Hutin, voilà Bouthemont qui vous fait votre particulière.Hutin avait oublié Mme Desforges, mis hors de lui par une vieille dame, qui, aprèsl'avoir gardé un quart d'heure, venait d'acheter un mètre de satin noir pour un corset.Dans les moments de presse, on ne tenait plus <strong>com</strong>pte du tableau de ligne, lesvendeurs servaient au hasard <strong>des</strong> clientes. Et il répondait à Mme Boutarel, en traind'achever son après-midi au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, où elle était déjà restée trois heuresle matin, lorsque l'avertissement de Favier lui causa un sursaut. Est-ce qu'il allaitmanquer la bonne amie du patron, dont il avait juré de tirer cent sous ? Ce serait le<strong>com</strong>ble de la malchance, car il ne s'était pas encore fait trois francs, avec tous cesautres chignons qui traînaient !Bouthemont, justement, répétait très haut :- Voyons, messieurs, quelqu'un par ici !Alors, Hutin passa Mme Boutarel à Robineau inoccupé.- Tenez ! madame, adressez-vous au second... il vous répondra mieux que moi.Et il se précipita, il se fit remettre les articles de Mme Marty par le vendeur auxlainages, qui avait ac<strong>com</strong>pagné ces dames.Ce jour-là, une excitation nerveuse devait troubler la délicatesse de son flair.D'habitude, au premier coup d'oeil jeté sur une femme, il disait si elle achèterait, et laquantité. Puis, il dominait la cliente, il se hâtait de l'expédier pour passer à une autre,57
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faire un scandale... Que diable ! t
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