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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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l'Arabie, la Perse, les In<strong>des</strong> étaient là. On avait vidé les palais, dévalisé les mosquéeset les bazars. L'or fauve dominait, dans l'effacement <strong>des</strong> tapis-anciens, dont les teintesfanées gardaient une chaleur sombre, un fondu de fournaise éteinte, d'une bellecouleur cuite de vieux maître. Et <strong>des</strong> visions d'Orient flottaient sous le luxe de cet artbarbare, au milieu de l'odeur forte que les vieilles laines avaient gardée du pays de lavermine et du soleil.Le matin, à huit heures, lorsque Denise, qui allait justement débuter ce lundi-là, avaittraversé le salon oriental, elle était restée saisie, ne reconnaissant plus l'entrée dumagasin, achevant de se troubler dans ce décor de harem, planté à la porte.Un garçon l'ayant conduite sous les <strong>com</strong>bles et remise entre les mains de Mme Cabin,chargée du nettoyage et de la surveillance <strong>des</strong> chambres, celle-ci l'installa au numéro7, où l'on avait déjà monté sa malle. C'était une étroite cellule mansardée, ouvrant surle toit par une fenêtre à tabatière, meublée d'un petit lit, d'une armoire de noyer,d'une table de toilette et de deux chaises. Vingt chambres pareilles s'alignaient le longd'un corridor de couvent, peint en jaune; et, sur les trente-cinq demoiselles de lamaison, les vingt qui n'avaient pas de famille à Paris couchaient là, tandis que lesquinze autres logeaient au-dehors, quelques-unes chez <strong>des</strong> tantes ou <strong>des</strong> cousinesd'emprunt. Tout de suite, Denise ôta la mince robe de laine, usée par la brosse,rac<strong>com</strong>modée aux manches, la seule qu'elle eût apportée de Valognes. Puis, elle passal'uniforme de son rayon, une robe de soie noire, qu'on avait retouchée pour elle, et quil'attendait sur le lit. Cette robe était encore un peu grande, trop large aux épaules.Mais elle se hâtait tellement, dans son émotion, qu'elle ne s'arrêta point à ces détailsde coquetterie.Jamais elle n'avait porté de la soie. Quand elle re<strong>des</strong>cendit, endimanchée, mal à l'aise,elle regardait luire la jupe, elle éprouvait une honte aux bruissements tapageurs del'étoffe.En bas, <strong>com</strong>me elle entrait au rayon, une querelle éclatait.Elle entendit Clara dire d'une voix aiguë :- Madame, je suis arrivée avant elle.- Ce n'est pas vrai, répondait Marguerite. Elle m'a bousculée à la porte, mais j'avaisdéjà mis le pied dans le salon.Il s'agissait de l'inscription au tableau de ligne, qui réglait les tours de vente. Lesvendeuses s'inscrivaient sur une ardoise, dans leur ordre d'arrivée; et, chaque foisqu'une d'elles avait eu une cliente, elle remettait son nom à la queue. Mme <strong>Au</strong>réliefinit par donner raison à Marguerite.- Toujours <strong>des</strong> injustices! murmura furieusement Clara.Mais l'entrée de Denise réconcilia ces demoiselles. Elles la regardèrent, puis sesourirent. Pouvait-on se fagoter de la sorte! La jeune fille alla gauchement s'inscrire autableau de ligne, où elle se trouvait la dernière. Cependant, Mme <strong>Au</strong>rélie l'examinaitavec une moue inquiète. Elle ne put s'empêcher de dire :- Ma chère, deux <strong>com</strong>me vous tiendraient dans votre robe.Il faudra la faire rétrécir... Et puis, vous ne savez pas vous habiller. Venez donc, queje vous arrange un peu.Et elle l'emmena devant une <strong>des</strong> hautes glaces, qui alternaient avec les portes pleines<strong>des</strong> armoires, où étaient serrées les confections. La vaste pièce, entourée de cesglaces et de ces boiseries de chêne sculpté, garnie d'une moquette rouge à grandsramages, ressemblait au salon banal d'un hôtel, que traverse un continuel galop depassants. Ces demoiselles <strong>com</strong>plétaient la ressemblance, vêtues de leur soieréglementaire, promenant leurs grâces marchan<strong>des</strong>, sans jamais s'asseoir sur ladouzaine de chaises réservées aux clientes seules. Toutes avaient, entre deuxboutonnières du corsage, <strong>com</strong>me piqué dans la poitrine, un grand crayon qui sedressait, la pointe en l'air; et l'on apercevait, sortant à demi d'une poche, la tacheblanche du cahier de notes de débit. Plusieurs risquaient <strong>des</strong> bijoux, <strong>des</strong> bagues, <strong>des</strong>broches, <strong>des</strong> chaînes; mais leur coquetterie, le luxe dont elles luttaient, dans48

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