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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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s'imposer, quand personne ne l'aimait ? Et elle s'en alla sans ajouter une parole, ellene jeta même pas un dernier regard, dans ce salon où elle avait lutté si longtemps.Mais, dès qu'elle fut seule, devant la rampe du hall, une souffrance plus vive serra soncoeur. Personne ne l'aimait, et la pensée brusque de Mouret venait de lui ôter toute sarésignation.Non ! elle ne pouvait accepter un pareil renvoi. Peut-être croirait-il cette vilainehistoire, ce rendez-vous avec un homme, au fond <strong>des</strong> caves. Une honte la torturait àcette idée, une angoisse dont elle n'avait jamais encore senti l'étreinte. Elle voulaitl'aller trouver, elle lui expliquerait les choses, pour le renseigner simplement ; car il luiétait égal de partir, lorsqu'il saurait la vérité. Et son ancienne peur, le frisson qui laglaçait devant lui, éclatait soudain en un besoin ardent de le voir, de ne point quitterla maison, sans lui jurer qu'elle n'avait pas appartenu à un autre.Il était près de cinq heures, le magasin reprenait un peu de vie, dans l'air rafraîchi dusoir. Vivement, elle se dirigea vers la direction. .Mais, lorsqu'elle fut devant la porte ducabinet, une tristesse désespérée l'envahit de nouveau. Sa langue s'embarrassait,l'écrasement de l'existence retombait sur ses épaules. Il ne la croirait pas, il rirait<strong>com</strong>me les autres ; et cette crainte la fit défaillir. C'était fini, elle serait mieux seule,disparue, morte. Alors, sans même prévenir Deloche et Pauline, elle passa tout <strong>des</strong>uite à la caisse.- Mademoiselle, dit l'employé, vous avez vingt-deux jours, ça fait dix-huit francssoixante-dix auxquels il faut ajouter sept francs de tant pour cent et de guelte. C'estbien votre <strong>com</strong>pte, n'est-ce pas ?- Oui, monsieur... Merci.Et Denise s'en allait avec son argent, lorsqu'elle rencontra enfin Robineau. Il avaitappris déjà le renvoi, il lui promit de retrouver l'entrepreneuse de cravates. Tout bas,il la consolait, il s'emportait : quelle existence ! se voir à la continuelle merci d'uncaprice ! être jeté dehors d'une heure à l'autre, sans pouvoir même exiger lesappointements du mois entier ! Denise monta prévenir Mme Cabin, qu'elle tâcherait defaire prendre sa malle dans la soirée. Cinq heures sonnaient, lorsqu'elle se trouva surle trottoir de la place Gaillon, étourdie, au milieu <strong>des</strong> fiacres et de la foule.Le soir même, <strong>com</strong>me Robineau rentrait chez lui, il reçut une lettre de la direction,l'avertissant en quatre lignes que, pour <strong>des</strong> raisons d'ordre intérieur, elle se voyaitforcée de renoncer à ses services. Il était depuis sept ans dans la maison ; l'aprèsmidiencore, il avait causé avec ces messieurs ; ce fut un coup de massue. Hutin etFavier chantaient victoire à la soie, aussi bruyamment que Marguerite et Claratriomphaient aux confections. Bon débarras ! les coups de balai font de la place !Seuls, quand ils se rencontraient, à travers la cohue <strong>des</strong> rayons, Deloche et Paulineéchangeaient <strong>des</strong> mots navrés, regrettant Denise, si douce, si honnête.- Ah ! disait le jeune homme, si elle réussissait jamais autre part, je voudrais qu'ellerentrât ici, pour leur mettre le pied sur la gorge, à toutes ces pas grand-chose !Et ce fut Bourdonde qui, dans cette affaire, supporta le choc violent de Mouret.Lorsque ce dernier apprit le renvoi de Denise, il entra dans une grande irritation.D'habitude, il s'occupait fort peu du personnel ; mais il affecta cette fois de voir là unempiétement de pouvoir, une tentative d'échapper à son autorité. Est-ce qu'il n'étaitplus le maître, par hasard, pour qu'on se permît de donner <strong>des</strong> ordres ? Tout devait luipasser sous les yeux. absolument tout ; et il briserait <strong>com</strong>me une paille quiconquerésisterait. Puis, quand il eut fait une enquête personnelle, dans un tourment nerveuxqu'il ne pouvait cacher, il se fâcha de nouveau. Elle ne mentait pas, cette pauvre fille :c'était bien son frère, Campion l'avait parfaitement reconnu. Alors, pourquoi larenvoyer ? Il parla même de la reprendre.Cependant, Bourdonde, fort de sa résistance passive, pliait l'échine sous labourrasque. Il étudiait Mouret. Enfin, un jour où il le vit plus calme, il osa dire, d'unevoix particulière :- Il vaut mieux pour tout le monde qu'elle soit partie.97

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