12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Jouve, en effet, sortait <strong>des</strong> dentelles, correctement cravaté de blanc, le nez à l'affût dequelque faute. Mais, lorsqu'il aperçut Denise, il fit le gros dos et passa d'un airaimable.- Sauvée ! murmura Pauline. Ma chère, vous lui avez rentré ça dans la gorge... Ditesdonc, s'il m'arrivait malheur, vous parleriez pour moi ? Oui, oui, ne prenez pas votreair étonné, on sait qu'un mot de vous révolutionnerait la maison.Et elle se hâta de rentrer à son <strong>com</strong>ptoir. Denise avait rougi, troublée de ces allusionsamicales. C'était vrai, du reste. Elle avait la sensation vague de sa puissance, auxflatteries qui l'entouraient. Lorsque Mme <strong>Au</strong>rélie remonta, et qu'elle trouva le rayontranquille et actif, sous la surveillance de la seconde, elle lui sourit amicalement. Ellelâchait Mouret lui-même, son .amabilité grandissait chaque jour pour une personne quipouvait, un beau matin, ambitionner sa situation de première. Le règne de Denise<strong>com</strong>mençait.Seul, Bourdoncle ne désarmait pas. Dans la guerre sourde qu'il continuait contre lajeune fille, il y avait d'abord une antipathie de nature. Il la détestait pour sa douceuret son charme.Puis, il la <strong>com</strong>battait <strong>com</strong>me une influence néfaste qui mettrait la maison en péril, lejour où Mouret aurait suc<strong>com</strong>bé. Les facultés <strong>com</strong>merciales du patron lui semblaientdevoir sombrer, au milieu de cette tendresse inepte : ce qu'on avait gagné par lesfemmes, s'en irait par cette femme. Toutes le laissaient froid, il les traitait avec ledédain d'un homme sans passion, dont le métier était de vivre d'elles, et qui avaitperdu ses illusions dernières, en les voyant à nu, dans les misères de son trafic. <strong>Au</strong>lieu de le griser, l'odeur <strong>des</strong> soixante-dix mille clientes lui donnait d'intolérablesmigraines: il battait ses maîtresses, dès qu'il rentrait chez lui. Et ce qui l'inquiétaitsurtout, devant cette petite vendeuse devenue peu à peu si redoutable, c'était qu'il necroyait point à son désintéressement, à la franchise de ses refus. Pour lui, elle jouaitun rôle, le plus habile <strong>des</strong> rôles ; car, si elle s'était livrée le premier jour, Mouret sansdoute l'aurait oubliée le lendemain; tandis que, en se refusant, elle avait fouetté sondésir, elle le rendait fou, capable de toutes les sottises. Une rouée, une fille de vicesavant, n'aurait pas agi d'une autre façon que cette innocente. <strong>Au</strong>ssi Bourdoncle nepouvait-il la voir, avec ses yeux clairs, son visage doux, toute son attitude simple,sans être pris maintenant d'une peur véritable, <strong>com</strong>me s'il avait eu, en face de lui, unemangeuse de chair déguisée, l'énigme sombre de la femme, la mort sous les traitsd'une vierge. De quelle manière déjouer la tactique de cette fausse ingénue ? Il necherchait plus qu'à pénétrer ses artifices, dans l'espoir de les dévoiler au grand jour ;certainement, elle <strong>com</strong>mettrait quelque faute, il la surprendrait avec un de sesamants, et elle serait chassée de nouveau, la maison retrouverait enfin son beaufonctionnement de machine bien montée.- Veillez, monsieur Jouve, répétait Bourdoncle à l'inspecteur. C'est moi qui vousré<strong>com</strong>penserai.Mais Jouve y apportait de la mollesse, car il avait pratiqué les femmes, et il songeait àse mettre du côté de cette enfant, qui pouvait être la maîtresse souveraine dulendemain. S'il n'osait plus y toucher, il la trouvait diablement jolie. Son colonel,autrefois, s'était tué pour une gamine pareille, une figure insignifiante, délicate etmo<strong>des</strong>te, dont un seul regard retournait les coeurs.- Je veille, je veille, répondait-il. Mais, parole d'honneur! je ne découvre rien.Pourtant, <strong>des</strong> histoires circulaient, il y avait un courant de <strong>com</strong>mérages abominables,sous les flatteries et le respect que Denise sentait monter autour d'elle. La maisonentière, à cette heure, racontait qu'elle avait eu jadis Hutin pour amant ; on n'osaitjurer que la liaison continuât, seulement on les soupçonnait de se revoir, de loin enloin. Et Deloche aussi couchait avec elle : ils se retrouvaient sans cesse dans les coinsnoirs, ils causaient pendant <strong>des</strong> heures. Un véritable scandale !- Alors, rien du premier à la soie, rien du jeune homme <strong>des</strong> dentelles ? répétaitBourdoncle.179

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!