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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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père tuerait sans cela. Alors, <strong>com</strong>me ses appointements et son tant pour cent nesuffisaient point, elle avait eu l'idée de chercher un petit travail, en dehors de sonemploi. Elle s'en était ouverte à Robineau, qui lui restait sympathique, depuis leurpremière rencontre chez Vinçard; et il lui avait procuré <strong>des</strong> noeuds de cravate, à cinqsous la douzaine. La nuit, de neuf heures à une heure, elle pouvait en coudre sixdouzaines, ce qui lui faisait trente sous, sur lesquels il fallait déduire une bougie dequatre sous. Mais ces vingt-six sous par jour entretenaient Jean, elle ne se plaignaitpas du manque de sommeil, elle se serait estimée très heureuse, si une catastrophen'avait une fois encore bouleversé son budget. À la fin de la seconde quinzaine,lorsqu'elle s'était présentée chez l'entrepreneuse <strong>des</strong> noeuds de cravate, elle avaittrouvé porte close : une faillite, une banqueroute, qui lui emportait dix-huit francstrente centimes, somme considérable, et sur laquelle, depuis huit jours, elle <strong>com</strong>ptaitabsolument. Toutes les misères du rayon disparaissaient devant ce désastre.- Vous êtes triste, lui dit Pauline, qui la rencontra, dans la galerie de l'ameublement.Est-ce que vous avez besoin de quelque chose, dites ?Mais Denise devait déjà douze francs à son amie. Elle répondit, en essayant <strong>des</strong>ourire:- Non, merci... J'ai mal dormi, voilà tout.C'était le 20 juillet, au plus fort de la panique <strong>des</strong> renvois, Sur les quatre centsemployés, Bourdoncle en avait déjà balayé cinquante ; et le bruit courait d'exécutionsnouvelles. Elle ne songeait guère pourtant aux menaces qui soufflaient, elle était toutentière à l'angoisse d'une aventure de Jean, plus terrifiante que les autres. Ce jour-là,il lui fallait quinze francs, dont l'envoi pouvait seul le sauver de la vengeance d'un maritrompé. La veille, elle avait reçu une première lettre, posant le drame; puis, coup surcoup, il en était venu deux autres, la dernière surtout qu'elle achevait, quand Paulinel'avait rencontrée, et où Jean lui annonçait sa mort pour le soir, s'il n'avait pas lesquinze francs. Elle se torturait l'esprit. Impossible de prendre sur la pension de Pépé,payée depuis deux jours. Toutes les malchances tombaient à la fois, car elle espéraitrentrer dans ses dix-huit francs trente, en s'adressant à Robineau, qui retrouveraitpeut-être l'entrepreneuse <strong>des</strong> noeuds de cravate ; mais Robineau, ayant obtenu uncongé de deux semaines, n'était pas revenu la veille, <strong>com</strong>me on l'attendait.Cependant, Pauline la questionnait encore, amicalement.Lorsque toutes deux se rejoignaient ainsi, au fond d'un rayon écarté, elles causaientquelques minutes, l'oeil aux aguets.Soudain, la lingère eut un geste de fuite : elle venait d'apercevoir la cravate blanched'un inspecteur, qui sortait <strong>des</strong> châles.- Ah ! non, c'est le père Jouve, murmura-t-elle d'un air rassuré. Je ne sais ce qu'il a,ce vieux, à rire, quand il nous voit ensemble... A votre place, j'aurais peur, car il esttrop gentil pour vous. Un chien fini, mauvais <strong>com</strong>me la gale, et qui croit encore parlerà ses troupiers !En effet, le père Jouve était détesté de tous les vendeurs, pour la sévérité de sasurveillance. Plus de la moitié <strong>des</strong> renvois se faisaient sur ses rapports. Son grand nezrouge d'ancien capitaine noceur ne s'humanisait que dans les <strong>com</strong>ptoirs tenus par <strong>des</strong>femmes.- Pourquoi aurais-je peur ? demanda Denise.- Dame ! répondit Pauline en riant, il exigera peut-être de la reconnaissance...Plusieurs de ces demoiselles se le ménagent.Jouve s'était éloigné, en feignant de ne pas les voir; et elles l'entendirent qui tombaitsur un vendeur <strong>des</strong> dentelles, coupable de regarder un cheval abattu, dans la rueNeuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin.- À propos, reprit Pauline, est-ce que vous ne cherchiez pas M. Robineau, hier? Il estrevenu.Denise se crut sauvée.- Merci, je vais faire le tour alors et passer par la soierie...85

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