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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Oh! j'en souffre toujours... Pourtant, l'air de la campagne, vous <strong>com</strong>prenez...N'importe, vous avez fait une riche affaire.Sans mes rhumatismes, je me retirais avec dix mille francs de rente, avant dix ans...parole d'honneur !Quinze jours plus tard, la lutte s'engageait entre Robineau et le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>.Elle fut célèbre, elle occupa un instant tout le marché parisien. Robineau, usant <strong>des</strong>armes de son adversaire, avait fait de la publicité dans les journaux. En outre, ilsoignait son étalage, entassait à ses vitrines <strong>des</strong> piles énormes de la fameuse soie,l'annonçait par de gran<strong>des</strong> pancartes blanches, où se détachait en chiffres géants leprix de cinq francs cinquante. C'était ce chiffre qui révolutionnait les femmes: deuxsous de meilleur marché qu'au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, et la soie paraissait plus forte.Dès les premiers jours, il vint un flot de clientes : Mme Marty, sous le prétexte de semontrer économe, acheta une robe dont elle n'avait pas besoin ; Mme Bourdelaistrouva l'étoffe belle, mais elle préféra attendre, flairant sans doute ce qui allait sepasser. La semaine suivante, en effet, Mouret, baissant carrément le Paris-<strong>Bonheur</strong> devingt centimes, le donna à cinq francs quarante ; il avait eu, avec Bourdoncle et lesintéressés, une discussion vive, avant de les convaincre qu'il fallait accepter la bataille,quitte à perdre sur l'achat ; ces vingt centimes étaient une perte sèche, puisqu'onvendait déjà au prix coûtant. Le coup fut rude pour Robineau, il ne croyait pas que sonrival baisserait, car ces suici<strong>des</strong> de la concurrence, ces ventes à perte étaient encoresans exemple ; et le flot <strong>des</strong> clientes, obéissant au bon marché, avait tout de suitereflué vers la rue Neuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin, tandis que le magasin de la rue Neuve-<strong>des</strong>-Petits-Champs se vidait. Gaujean accourut de Lyon, il y eut <strong>des</strong> conciliabules effarés,on finit par prendre une résolution héroïque : la soie serait baissée, on la laisserait àcinq francs trente, prix au-<strong>des</strong>sous duquel personne ne pouvait <strong>des</strong>cendre, sans folie.Le lendemain, Mouret mettait son étoffe à cinq francs vingt. Et, dès lors, ce fut unerage: Robineau répliqua par cinq francs quinze, Mouret afficha cinq francs dix. Tousdeux ne se battaient plus que d'un sou, perdant <strong>des</strong> sommes considérables, chaquefois qu'ils faisaient ce cadeau au public. Les clientes riaient, enchantées de ce duel,émues <strong>des</strong> coups terribles que se portaient les deux maisons, pour leur plaire. Enfin,Mouret osa le chiffre de cinq francs ; chez lui, le personnel était pâle, glacé d'un teldéfi à la fortune. Robineau, atterré, hors d'haleine, s'arrêta de même à cinq francs, netrouvant pas le courage de <strong>des</strong>cendre davantage. Ils couchaient sur leurs positions,face à face, avec le massacre de leurs marchandises autour d'eux.Mais si, de part et d'autre, l'honneur était sauf, la situation devenait meurtrière pourRobineau. Le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> avait <strong>des</strong> avances et une clientèle qui luipermettaient d'équilibrer les bénéfices; tandis que lui, soutenu seulement parGaujean, ne pouvant se rattraper sur d'autres articles, restait épuisé, glissait chaquejour un peu sur la pente de la faillite.Il mourait de sa témérité, malgré la clientèle nombreuse que les péripéties de la luttelui avaient amenée. Un de ses tourments secrets était de voir cette clientèle le quitterlentement, retourner au <strong>Bonheur</strong>, après l'argent perdu et les efforts qu'il avait faitspour la conquérir.Un jour même, la patience lui échappa. Une cliente, Mme de Boves, était venue voirchez lui <strong>des</strong> manteaux, car il avait joint un <strong>com</strong>ptoir de confections à sa spécialité <strong>des</strong>oies. Elle ne se décidait pas, se plaignait de la qualité <strong>des</strong> étoffes. Enfin, elle dit :- Leur Paris-<strong>Bonheur</strong> est beaucoup plus fort.Robineau se contenait, lui affirmait qu'elle se trompait, avec sa politesse marchande,d'autant plus respectueux, qu'il craignait de laisser éclater sa révolte intérieure.- Mais voyez donc la soie de cette rotonde ! reprit-elle, on jurerait de la toiled'araignée... Vous avez beau dire, monsieur, leur soie à cinq francs est du cuir à côtéde celle-ci.Il ne répondait plus, le sang au visage, les lèvres serrées.107

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