- Comment ! vous êtes levée ! cria la première. C'est une imprudence, ma chèreenfant. Je montais justement prendre de vos nouvelles et vous dire que nous n'avonspas besoin de vous, en bas.Denise lui assura qu'elle allait mieux, que cela lui ferait du bien de s'occuper, de sedistraire.- Je ne me fatiguerai pas, madame. Vous m'installerez sur une chaise, je travailleraiaux écritures.Toutes deux <strong>des</strong>cendirent. Très prévenante, Mme <strong>Au</strong>rélie l'obligeait à s'appuyer surson épaule. Elle avait dû remarquer les yeux rouges de la jeune fille, car ellel'examinait à la dérobée. Sans doute, elle savait bien <strong>des</strong> choses.C'était une victoire inespérée : Denise avait enfin conquis le rayon. Après s'être jadisdébattue pendant près de dix mois, au milieu de ses tourments de souffre-douleur,sans lasser le mauvais vouloir de ses camara<strong>des</strong>, elle venait en quelques semaines deles dominer, de les voir autour d'elle souples et respectueuses. La brusque tendressede Mme <strong>Au</strong>rélie l'avait beaucoup aidée, dans cette ingrate besogne de se concilier lescoeurs; on racontait tout bas que la première était la <strong>com</strong>plaisante de Mouret, qu'ellelui rendait <strong>des</strong> services délicats; et elle prenait si chaudement la jeune fille sous saprotection, qu'on devait en effet la lui re<strong>com</strong>mander, d'une façon spéciale. Mais celleciavait également travaillé de tout son charme pour désarmer ses ennemies. La tâcheétait d'autant plus rude, qu'il lui fallait se faire pardonner sa nomination au poste <strong>des</strong>econde.Ces demoiselles criaient à l'injustice, l'accusaient d'avoir gagné ça au <strong>des</strong>sert, avec lepatron; même elles ajoutaient <strong>des</strong> détails abominables. Malgré leurs révoltes pourtant,le titre de seconde agissait sur elles, Denise prenait une autorité, qui étonnait et pliaitles plus hostiles. Bientôt, elle trouva <strong>des</strong> flatteuses, parmi les dernières venues. Sadouceur et sa mo<strong>des</strong>tie achevèrent la conquête. Marguerite se rallia. Et Clara seulecontinua de se montrer mauvaise, risquant encore l'ancienne injure de "mal peignée",qui maintenant n'égayait personne. Pendant la courte fantaisie de Mouret, elle en avaitabusé pour lâcher la besogne, d'une paresse bavarde et vaniteuse ; puis, <strong>com</strong>me ils'était lassé tout de suite, elle ne récriminait même pas, incapable de jalousie dans ladébandade galante de son existence, simplement satisfaite d'en tirer le bénéfice d'êtretolérée à ne rien faire. Seulement, elle considérait que Denise lui avait volé lasuccession de Mme Frédéric. Jamais elle ne l'aurait acceptée, à cause du tracas; maiselle était vexée du manque de politesse, car elle avait les mêmes titres que l'autre, et<strong>des</strong> titres antérieurs.- Tiens! voilà qu'on sort l'accouchée, murmura-t-elle, quand elle aperçut Mme <strong>Au</strong>rélieamenant Denise à son bras.Marguerite haussa les épaules, en disant:- Si vous croyez que c'est drôle !Neuf heures sonnaient. <strong>Au</strong>-dehors, un ciel d'un bleu ardent chauffait les rues, <strong>des</strong>fiacres roulaient vers les gares, toute la population endimanchée gagnait en longuesfiles les bois de la banlieue. Dans le magasin, inondé de soleil par les gran<strong>des</strong> baiesouvertes, le personnel enfermé venait de <strong>com</strong>mencer l'inventaire. On avait retiré lesboutons <strong>des</strong> portes, <strong>des</strong> gens s'arrêtaient sur le trottoir ,regardant par les glaces,étonnés de cette fermeture, lorsqu'on distinguait à l'intérieur une activitéextraordinaire. C'était, d'un bout à l'autre <strong>des</strong> galeries, du haut en bas <strong>des</strong> étages, unpiétinement d'employés, <strong>des</strong> bras en l'air, <strong>des</strong> paquets volant par-<strong>des</strong>sus les têtes; etcela au milieu d'une tempête de cris, de chiffres lancés, dont la confusion montait etse brisait en un tapage assourdissant. Chacun <strong>des</strong> trente-neuf rayons faisait sabesogne à part, sans s'inquiéter <strong>des</strong> rayons voisins. D'ailleurs, on attaquait à peine lescasiers, il n'y avait encore par terre que quelques pièces d'étoffe. La machine devaits'échauffer, si l'on voulait finir le soir même.- Pourquoi <strong>des</strong>cendez-vous? reprit Marguerite obligeamment, en s'adressant à Denise.Vous allez vous faire du mal, et nous avions le monde nécessaire.150
- C'est ce que je lui ai dit, déclara Mme <strong>Au</strong>rélie. Mais elle a voulu quand même nousaider.Toutes ces demoiselles s'empressaient auprès de Denise. Le travail s'en trouvainterrompu. On la <strong>com</strong>plimentait, on écoutait avec <strong>des</strong> exclamations l'histoire de sonentorse. Enfin, Mme <strong>Au</strong>rélie la fit asseoir devant une table; et il fut entendu qu'elle secontenterait d'inscrire les articles appelés. D'ailleurs, le dimanche de l'inventaire, onmettait à réquisition tous les employés capables de tenir une plume: les inspecteurs,les caissiers, les <strong>com</strong>mis aux écritures, jusqu'aux garçons de magasin ; puis les diversrayons se partageaient ces ai<strong>des</strong> d'un jour, pour bâcler vivement la besogne. C'étaitainsi que Denise se trouvait installée près du caissier Lhomme et du garçon Joseph,l'un et l'autre penchés sur de gran<strong>des</strong> feuilles de papier.- Cinq manteaux, drap, garnis fourrure, troisième grandeur, à deux cent quarante!criait Marguerite. Quatre idem, première grandeur, à deux cent vingt!Le travail re<strong>com</strong>mença. Derrière Marguerite, trois vendeuses vidaient les armoires,classaient les articles,l es lui donnaient par paquets; et, quand elle les avait appelés,elle les jetait sur les tables, où ils s'entassaient peu à peu, en piles énormes.Lhomme inscrivait, Joseph dressait une autre liste, pour le contrôle. Pendant cetemps, Mme <strong>Au</strong>rélie elle-même, aidée de trois autres vendeuses, dénombrait de soncôté les vêtements de soie, que Denise portait sur <strong>des</strong> feuilles. Clara était chargée deveiller aux tas, de les ranger et de les échafauder, de manière à ce qu'ils tinssent lemoins de place possible, le long <strong>des</strong> tables. Mais elle n'était guère à sa tâche, <strong>des</strong> pilescroulaient déjà. - Dites donc, demanda-t-elle à une petite vendeuse entrée de l'hiver,est-ce qu'on vous augmente ?... Vous savez qu'on va mettre la seconde à deux millefrancs, ce qui lui fera près de sept mille, avec son intérêt.La petite vendeuse, sans cesser de passer <strong>des</strong> roton<strong>des</strong>, répondit que, si on ne luidonnait pas huit cents francs, elle lâcherait la boîte. Les augmentations avaient lieu aulendemain de l'inventaire ; c'était également l'époque où, le chiffre d'affaires réaliséespendant l'année étant connu, les chefs de rayon touchaient leurs intérêts surl'augmentation de ce chiffre, <strong>com</strong>paré au chiffre de l'année précédente. <strong>Au</strong>ssi, malgréle vacarme et le tohu-bohu de la besogne, les <strong>com</strong>mérages passionnés allaient-ils leurtrain. Entre deux articles appelés, on ne causait que d'argent. Le bruit courait queMme <strong>Au</strong>rélie dépasserait vingt-cinq mille francs ; et une pareille somme excitaitbeaucoup ces demoiselles.Marguerite, la meilleure vendeuse après Denise, s'était fait quatre mille cinq centsfrancs, quinze cents francs d'appointements fixes et trois mille francs environ de tantpour cent; tandis que Clara n'arrivait pas à deux mille cinq cents, en tout.- Moi, je m'en fiche, de leurs augmentations ! reprenait celle-ci, en s'adressant à lapetite vendeuse. Si papa était mort, ce que je les planterais là... ! Mais une chose quim'exaspère, ce sont les sept mille francs de ce bout de femme. Hein ! et vous ?Mme <strong>Au</strong>rélie interrompit violemment la conversation. Elle se tourna, de son airsuperbe.- Taisez-vous donc, mesdemoiselles ! On ne s'entend pas, ma parole d'honneur !Puis, elle se remit à crier :- Sept mantes à la vieille, sicilienne, première grandeur, à cent trente!... Troispelisses, surah, deuxième grandeur, à cent cinquante !... Y êtes-vous, mademoiselleBaudu ?- Oui, madame.Alors, Clara dut s'occuper <strong>des</strong> brassées de vêtements empilés sur les tables. Elle lesbouscula, gagna de la place. Mais bientôt elle les lâcha encore, pour répondre à unvendeur qui la cherchait. C'était le gantier Mignot, échappé de son rayon. Il chuchotaune demande de vingt francs ; déjà, il lui en devait trente, un emprunt pratiqué unlendemain de courses, après avoir perdu sa semaine sur un cheval ; cette fois, il avaitmangé à l'avance sa guelte touchée la veille, il ne lui restait pas dix sous pour sondimanche. Clara n'avait sur elle que dix francs, qu'elle prêta d'assez bonne grâce. Et151
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- Je sais, je sais, madame, répét
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faire un scandale... Que diable ! t
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