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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Ma foi ! répondit Mouret joyeusement, tout ce que je demande, c'est qu'il ne megêne pas... Et, tu sais, quand on a eu la bêtise de se mettre ça entre les jambes, iln'est pas <strong>com</strong>mode de s'en dépêtrer. On s'en va à pas de tortue dans la vie, lorsqueles autres, ceux qui ont les pieds nus, courent <strong>com</strong>me <strong>des</strong> dératés.Puis, remarquant que son ami semblait souffrir, il lui prit les mains, il continua :- Voyons, je ne veux pas te faire de la peine, mais avoue que tes diplômes n'ontsatisfait aucun de tes besoins... Sais-tu que mon chef de rayon, à la soie, toucheraplus de douze mille francs cette année ? Parfaitement ! un garçon d'une intelligencetrès nette, qui s'en est tenu à l'orthographe et aux quatre règles... Les vendeursordinaires, chez moi, se font trois et quatre mille francs, plus que tu ne gagnes toimême; et ils n'ont pas coûté tes frais d'instruction, ils n'ont pas été lancés dans lemonde, avec la promesse signée de le conquérir... Sans doute, gagner de l'argentn'est pas tout. Seulement, entre les pauvres diables frottés de science qui en<strong>com</strong>brentles professions libérales, sans y manger à leur faim, et les garçons pratiques, arméspour la vie, sachant à fond leur métier, ma foi! je n'hésite pas, je suis pour ceux-cicontre ceux-là, je trouve que les gaillards <strong>com</strong>prennent joliment leur époque !Sa voix s'était échauffée ; Henriette, qui servait le thé, avait tourné la tête. Quand il lavit sourire, au fond du grand salon et qu'il aperçut deux autres dames prêtant l'oreille,il s'égaya le premier de ses phrases.- Enfin, mon vieux, tout calicot qui débute est aujourd'hui dans la peau d'unmillionnaire.Vallagnosc se renversait mollement sur le canapé. Il avait fermé les yeux à demi, dansune pose de fatigue et de dédain, où une pointe d'affectation s'ajoutait au réelépuisement de sa race.- Bah ! murmura-t-il, la vie ne vaut pas tant de peine. Rien n'est drôle.Et, <strong>com</strong>me Mouret, révolté, le regardait d'un air de surprise, il ajouta :- Tout arrive et rien n'arrive. <strong>Au</strong>tant rester les bras croisés.Alors, il dit son pessimisme, les médiocrités et les avortements de l'existence. Unmoment, il avait rêvé de littérature, et il lui était resté de sa fréquentation avec <strong>des</strong>poètes une désespérance universelle. Toujours, il concluait à l'inutilité de l'effort, àl'ennui <strong>des</strong> heures également vi<strong>des</strong>, à la bêtise finale du monde. Les jouissancesrataient, il n'y avait pas même de joie à mal faire.- Voyons, est-ce que tu t'amuses, toi ? finit-il par demander...Mouret en était arrivé à une stupeur d'indignation. Il cria :- Comment ! si je m'amuse !... Ah ! çà, que chantes-tu ? Tu en es là, mon vieux !...Mais, sans doute, je m'amuse, et même lorsque les choses craquent, parce qu'alors jesuis furieux de les entendre craquer. Moi, je suis un passionné, je ne prends pas la vietranquillement, c'est ce qui m'y intéresse peut-être.Il jeta un coup d'oeil vers le salon, il baissa la voix.- Oh ! il y a <strong>des</strong> femmes qui m'ont bien embêté, ça je le confesse. Mais, quand j'entiens une, je la tiens que diable ! et ça ne rate pas toujours, et je ne donne ma part àpersonne, je t'assure... Puis, ce ne sont pas encore les femmes, dont je me moqueaprès tout. Vois-tu, c'est de vouloir et d'agir, c'est de créer enfin... Tu as une idée, tute bats pour elle, tu l'enfonces à coups de marteau dans la tête <strong>des</strong> gens, tu la voisgrandir et triompher... Ah ! oui, mon vieux, je m'amuse !Toute la joie de l'action, toute la gaieté de l'existence sonnaient dans ses paroles. Ilrépéta qu'il était de son époque.Vraiment, il fallait être mal bâti, avoir le cerveau et les membres attaqués, pour serefuser à la besogne, en un temps de si large travail, lorsque le siècle entier se jetait àl'avenir.Et il raillait les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces mala<strong>des</strong> de nossciences <strong>com</strong>mençantes, qui prenaient <strong>des</strong> airs pleureurs de poètes ou <strong>des</strong> minespincées de sceptiques, au milieu de l'immense chantier contemporain. Un joli rôle, etpropre, et intelligent, que de bâiller d'ennui devant le labeur <strong>des</strong> autres !36

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