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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Et ce fut Denise qui souffrit de l'aventure. Mme <strong>Au</strong>rélie, toute renseignée qu'elle était,lui garda une sourde rancune ; elle l'avait vue rire avec Pauline, elle crut à unebravade, à <strong>des</strong> <strong>com</strong>mérages sur les amours de son fils. Alors, dans le rayon, elle isolala jeune fille davantage encore. Depuis longtemps, elle projetait d'emmener cesdemoiselles passer un dimanche, près de Rambouillet, aux Rigolles, où elle avaitacheté une propriété, sur ses cent premiers mille francs d'économie ; et, tout d'uncoup, elle se décida, c'était une façon de punir Denise, de la mettre ouvertement àl'écart. Seule, cette dernière ne fut pas invitée. Quinze jours à l'avance, le rayon necausa que de la partie : on regardait le ciel attiédi par le soleil de mai, on occupaitdéjà chaque heure de la journée, on se promettait tous les plaisirs, <strong>des</strong> ânes, du lait,du pain bis. Et rien que <strong>des</strong> femmes, ce qui était plus amusant ! D'habitude, Mme<strong>Au</strong>rélie tuait de la sorte ses jours de congé, en se promenant avec <strong>des</strong> dames ; carelle avait si peu l'habitude de se trouver en famille, elle était si mal à son aise, sidépaysée, les rares soirs où elle pouvait dîner chez elle, entre son mari et son fils,qu'elle préférait, même ces soirs-là, lâcher le ménage et aller dîner au restaurant.L'homme filait de son côté, ravi de reprendre son existence de garçon, et Albert,soulagé, courait à ses gueuses; si bien que, désaccoutumés du foyer, se gênant ets'ennuyant ensemble le dimanche, tous les trois ne faisaient guère que traverser leurappartement, ainsi qu'un hôtel banal où l'on couche à la nuit. Pour la partie deRambouillet, Mme <strong>Au</strong>rélie déclara simplement que les convenances empêchaientAlbert d'en être, et que le père lui-même montrerait du tact en refusant de venir ; cedont les deux hommes furent enchantés. Cependant, le bienheureux jour approchait,ces demoiselles ne tarissaient plus, racontaient <strong>des</strong> préparatifs de toilette, <strong>com</strong>me sielles partaient pour un voyage de six mois ; tandis que Denise devait les entendre,pâle et silencieuse dans son abandon.- Hein ? elles vous font rager ? lui dit un matin Pauline. C'est moi, à votre place, quiles attraperais! Elles s'amusent, je m'amuserais, pardi!... Ac<strong>com</strong>pagnez-nousdimanche, Baugé me mène à Joinville.- Non, merci, répondit la jeune fille avec sa tranquille obstination.- Mais pourquoi ?... Vous avez encore peur qu'on ne vous prenne de force?Et Pauline riait d'un bon rire. Denise sourit à son tour. Elle savait bien <strong>com</strong>mentarrivaient les choses : c'était dans une partie semblable que chacune de cesdemoiselles avait connu son premier amant, un ami amené <strong>com</strong>me par hasard ; et ellene voulait pas.- Voyons, reprit Pauline, je vous jure que Baugé n'amènera personne. Nous ne seronsque tous les trois... Puisque ça vous déplaît, je n'irais pas vous marier, bien sûr.Denise hésitait, tourmentée d'un tel désir, qu'un flot de sang montait à ses joues.Depuis que ses camara<strong>des</strong> étalaient leurs plaisirs champêtres, elle étouffait, prise d'unbesoin de plein ciel, rêvant de gran<strong>des</strong> herbes où elle entrait jusqu'aux épaules,d'arbres géants dont les ombres coulaient sur elle <strong>com</strong>me une eau fraîche. Sonenfance, passée dans les verdures grasses du Cotentin, s'éveillait, avec le regret dusoleil.- Eh bien ! oui, dit-elle enfin.Tout fut réglé. Baugé devait venir prendre ces demoiselles à huit heures, sur la placeGaillon ; de là, on irait en fiacre à la gare de Vincennes. Denise, dont les vingt-cinqfrancs d'appointements fixes étaient chaque mois dévorés par les enfants, n'avait puque rafraîchir sa vieille robe de laine noire, en la garnissant de biais de popeline àpetits carreaux ; et elle s'était fait elle-même un chapeau, avec une forme de capoterecouverte de soie et ornée d'un ruban bleu. Dans cette simplicité, elle avait l'air trèsjeune, un air de fille grandie trop vite, d'une propreté de pauvre, un peu honteuse etembarrassée du luxe débordant de ses cheveux, qui crevaient la nudité de sonchapeau. <strong>Au</strong> contraire, Pauline étalait une robe de soie printanière, à raies violettes etblanches, une toque appareillée, chargée de plumes, <strong>des</strong> bijoux au cou et aux mains,toute une richesse de <strong>com</strong>merçante cossue. C'était <strong>com</strong>me une revanche de la75

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