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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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coeur resterait broyé. Et son tourment le rendit terrible, la maison entière trembla. Ildédaignait de se cacher derrière Bourdoncle, il faisait lui-même les exécutions, dansun besoin nerveux de rancune, se soulageant à abuser de sa puissance, de cettepuissance qui ne pouvait rien pour le contentement de son désir unique.Chacune de ses inspections devenait un massacre, on ne le voyait plus paraître, sansqu'un frisson de panique soufflât de <strong>com</strong>ptoir en <strong>com</strong>ptoir. Justement, on entrait dansla morte-saison d'hiver, et il balaya les rayons, il entassa les victimes, poussant tout àla rue. Sa première idée était de chasser Hutin et Deloche ; puis, il avait réfléchi que,s'il ne les gardait pas, il ne saurait jamais rien ; et les autres payaient pour eux, lepersonnel entier craquait. Le soir, quand il se retrouvait seul, <strong>des</strong> larmes lui gonflaientles paupières.Un jour surtout, la terreur régna. Un inspecteur croyait remarquer que le gantierMignot volait. Toujours <strong>des</strong> filles aux allures étranges rôdaient devant son <strong>com</strong>ptoir ;et l'on venait d'arrêter une d'elles, les hanches garnies et la gorge bourrée de soixantepaires de gants. Dès lors, une surveillance fut organisée, l'inspecteur prit Mignot enflagrant délit, facilitant les tours de main d'une grande blonde, une ancienne vendeusedu Louvre tombée au trottoir : la manoeuvre était simple, il affectait de lui essayer <strong>des</strong>gants, attendait qu'elle se fût emplie, et la menait ensuite à une caisse, où elle enpayait une paire.Justement, Mouret se trouvait là. D'habitude, il préférait ne pas se mêler de ces sortesd'aventures, qui étaient fréquentes ; car, malgré le fonctionnement de machine bienréglée, un grand désordre régnait dans certains rayons du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, et ilne se passait pas de semaine, sans qu'on chassât un employé pour vol. Même ladirection aimait mieux faire le plus de silence possible autour de ces vols, jugeantinutile de mettre la police sur pied, ce qui aurait étalé une <strong>des</strong> plaies fatales <strong>des</strong>grands bazars. Seulement, ce jour-là, Mouret avait le besoin de se fâcher, et il traitaviolemment le joli Mignot, qui tremblait de peur, la face blême et dé<strong>com</strong>posée.- Je devrais appeler un sergent de ville, criait-il au milieu <strong>des</strong> autres vendeurs. Maisrépondez ! quelle est cette femme ?...Je vous jure que j'envoie chercher le <strong>com</strong>missaire, si vous ne me dites pas la vérité.On avait emmené la femme, deux vendeuses la déshabillaient. Mignot balbutia :- Monsieur, je ne la connais pas autrement... C'est elle qui est venue...- Ne mentez donc pas ! interrompit Mouret avec un redoublement de violence. Etpersonne ici qui nous avertisse ! Vous vous entendez tous, ma parole ! Nous sommesdans une véritable forêt de Bondy, volés, pillés, saccagés ! C'est à n'en plus laissersortir un seul, sans fouiller ses poches !Des murmures se firent entendre. Les trois ou quatre clientes qui achetaient <strong>des</strong>gants, restaient effarées.- Silence ! reprit-il furieusement, ou je balaie la maison !Mais Bourdonde était accouru, inquiet à l'idée du scandale.Il murmura quelques mots à l'oreille de Mouret, l'affaire prenait une gravitéexceptionnelle ; et il le décida à conduire Mignot dans le bureau <strong>des</strong> inspecteurs, unepièce située au rez-de-chaussée, près de la porte Gaillon. La femme se trouvait là, entrain de remettre tranquillement son corset. Elle venait de nommer Albert Lhomme.Mignot, questionné de nouveau, perdit la tête, sanglota : lui, n'était pas coupable,c'était Albert qui lui envoyait ses maîtresses ; d'abord, il les avantageait simplement,les faisait profiter <strong>des</strong> occasions ; puis, quand elles finissaient par voler, il était trop<strong>com</strong>promis déjà pour avertir ces messieurs. Et ceux-ci apprirent alors toute une sériede vols extraordinaires : <strong>des</strong> marchandises enlevées par <strong>des</strong> filles, qui allaient lesattacher sous leurs jupons, dans les cabinets luxueux, installés près du buffet, aumilieu <strong>des</strong> plantes vertes ; <strong>des</strong> achats qu'un vendeur négligeait d'appeler à une caisse,lorsqu'il y conduisait une cliente, et dont il partageait le prix avec le caissier ; jusqu'àde faux " rendus ", <strong>des</strong> articles qu'on annonçait <strong>com</strong>me rentrés dans la maison, pourempocher l'argent remboursé fictivement ; sans <strong>com</strong>pter le vol classique, <strong>des</strong> paquets184

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