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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Tous n'étaient plus que <strong>des</strong> rouages, se trouvaient emportés par le branle de lamachine, abdiquant leur personnalité, additionnant simplement leurs forces, dans cetotal banal et puissant de phalanstère. <strong>Au</strong>-dehors seulement, reprenait la vieindividuelle, avec la brusque flambée <strong>des</strong> passions qui se réveillaient.Denise vit pourtant un jour Albert Lhomme ,le fils de la première, glisser un billet dansla main d'une demoiselle de la lingerie, après avoir traversé plusieurs fois le rayond'un air d'indifférence. On arrivait alors à la morte-saison d'hiver, qui va de décembreà février; et elle avait <strong>des</strong> moments de repos, <strong>des</strong> heures passées debout, les yeuxperdus dans les profondeurs du magasin, à attendre les clientes. Les vendeuses <strong>des</strong>confections voisinaient surtout avec les vendeurs <strong>des</strong> dentelles, sans que l'intimitéforcée allât plus loin que <strong>des</strong> plaisanteries, échangées tout bas. Il y avait, auxdentelles, un second farceur qui poursuivait Clara de confidences abominables,simplement pour rire, si détaché au fond, qu'il n'essayait seulement pas de laretrouver dehors; et c'étaient ainsi, d'un <strong>com</strong>ptoir à l'autre, entre ces messieurs et cesdemoiselles, <strong>des</strong> coups d'oeil d'intelligence, <strong>des</strong> mots qu'eux seuls <strong>com</strong>prenaient,parfois <strong>des</strong> causeries sournoises, le dos à demi-tourné, l'air rêveur, pour donner lechange au terrible Bourdoncle. Quant à Deloche, longtemps il se contenta de sourire,en regardant Denise; puis, il s'enhardit, lui murmura un mot d'amitié, lorsqu'il lacoudoya. Le jour où elle aperçut le fils de Mme <strong>Au</strong>rélie donnant un billet à la lingère,Deloche justement lui demandait si elle avait bien déjeuné, par besoin de s'intéresserà elle, et ne trouvant rien de plus aimable. Lui aussi vit la tache blanche de la lettre; ilregarda la jeune fille, tous deux rougirent de cette intrigue nouée devant eux.Mais Denise, sous ces haleines chau<strong>des</strong> qui éveillaient peu à peu la femme en elle,gardait encore sa paix d'enfant. Seule, la rencontre de Hutin lui remuait le coeur. Dureste, ce n'était à ses yeux que de la reconnaissance, elle se croyait uniquementtouchée de la politesse du jeune homme. Il ne pouvait amener une cliente au rayon,sans qu'elle demeurât confuse.Plusieurs fois, en revenant d'une caisse, elle se surprit faisant un détour, traversantinutilement le <strong>com</strong>ptoir <strong>des</strong> soieries, la gorge gonflée d'émotion. Un après-midi, elle ytrouva Mouret qui semblait la suivre d'un sourire. Il ne s'occupait plus d'elle, ne luiadressait de loin en loin une parole que pour la conseiller sur sa toilette et laplaisanter, en fille manquée, en sauvage qui tenait du garçon et dont il ne tireraitjamais une coquette, malgré sa science d'homme à bonnes fortunes; même il en riait,il <strong>des</strong>cendait jusqu'à <strong>des</strong> taquineries, sans vouloir s'avouer le trouble que lui causaitcette petite vendeuse, avec ses cheveux si drôles. Devant ce sourire muet, Denisetrembla, <strong>com</strong>me si elle était en faute. Savait-il donc pourquoi elle traversait la soierie,lorsqu'elle-même n'aurait pu expliquer ce qui la poussait à un pareil détour ?Hutin, d'ailleurs, ne paraissait nullement s'apercevoir <strong>des</strong> regards reconnaissants de lajeune fille. Ces demoiselles n'étaient pas son genre, il affectait de les mépriser, en sevantant plus que jamais d'aventures extraordinaires avec <strong>des</strong> clientes : à son<strong>com</strong>ptoir, une baronne avait eu le coup de foudre, et la femme d'un architecte lui étaittombée entre les bras, un jour qu'il allait chez elle pour une erreur de métrage. Souscette hâblerie normande, il cachait simplement <strong>des</strong> filles ramassées au fond <strong>des</strong>brasseries et <strong>des</strong> cafés-concerts. Comme tous les jeunes messieurs <strong>des</strong> nouveautés, ilavait une rage de dépense, se battant la semaine entière à son rayon, avec une âpretéd'avare, dans le seul désir de jeter le dimanche son argent à la volée, sur les champsde courses, au travers <strong>des</strong> restaurants et <strong>des</strong> bals ; jamais une économie, pas uneavance, le gain aussitôt dévoré que touché, l'insouciance absolue du lendemain.Favier n'était pas de ces parties. Hutin et lui, si liés au magasin, se saluaient à la porteet ne se parlaient plus ; beaucoup de vendeurs, en continuel contact, devenaient ainsi<strong>des</strong> étrangers, ignorant leurs vies, dès qu'ils mettaient le pied dans la rue. Mais Hutinavait pour intime Liénard. Tous deux habitaient le même hôtel, l'Hôtel de Smyrne, rueSainte-Anne, une maison noire entièrement occupée par <strong>des</strong> employés de <strong>com</strong>merce.Le matin, ils arrivaient ensemble ; puis, le soir, le premier libre, lorsque le déplié de73

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