<strong>des</strong> relations discrètes avec de grands personnages ; la vérité était qu'on ne savaitrien de ses affaires de coeur ; elle disparaissait le soir, raidie dans sa maussaderie deveuve, l'air pressé, sans que personne pût dire où elle courait si fort. Quant auxpassions de Mme <strong>Au</strong>rélie, à ses prétendues fringales de jeunes hommes obéissants,elles étaient certainement fausses : on inventait cela entre vendeuses mécontentes,histoire de rire. Peut-être la première avait-elle témoigné autrefois trop de maternité àun ami de son fils, seulement elle occupait aujourd'hui, dans les nouveautés, unesituation de femme sérieuse, qui ne s'amusait plus à de pareils enfantillages. Puis,venait le troupeau, la débandade du soir, neuf sur dix que <strong>des</strong> amants attendaient à laporte ; c'était, sur la place Gaillon, le long de la rue de la Michodière et de la rueNeuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin, toute une faction d'hommes immobiles, guettant du coin del'oeil ; et, quand le défilé <strong>com</strong>mençait, chacun tendait le bras, emmenait la sienne,disparaissait en causant, avec une tranquillité maritale.Mais ce qui troubla le plus Denise, ce fut de surprendre le secret de Colomban. À touteheure, elle le trouvait de l'autre côté de la rue, sur le seuil du Vieil Elbeuf, les yeuxlevés et ne quittant pas du regard ces demoiselles <strong>des</strong> confections. Quand il se sentaitguetté par elle, il rougissait, détournait la tête, <strong>com</strong>me s'il eût redouté que la jeunefille ne le vendît à sa cousine Geneviève, bien qu'il n'y eût plus aucuns rapports entreles Baudu et leur nièce, depuis l'entrée de celle-ci au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. D'abord,elle le crut amoureux de Marguerite, à voir ses airs transis d'amant qui désespère, carMarguerite, sage et couchant au magasin, n'était point <strong>com</strong>mode. Puis, elle restastupéfaite lorsqu'elle acquit la certitude que les regards ardents du <strong>com</strong>miss'adressaient à Clara. Il y avait <strong>des</strong> mois qu'il brûlait ainsi, sur le trottoir d'en face,sans trouver le courage de se déclarer ; et cela pour une fille libre, qui demeurait rueLouis-le-Grand, qu'il aurait pu aborder, avant qu'elle s'en allât chaque soir au brasd'un nouvel homme ! Clara elle-même ne paraissait pas se douter de sa conquête. Ladécouverte de Denise l'emplit d'une émotion douloureuse. Était-ce donc si bête,l'amour? Quoi! ce garçon qui avait tout un bonheur sous la main, et qui gâtait sa vie,et qui adorait une gueuse <strong>com</strong>me un saint-sacrement! À partir de ce jour, elle éprouvaun serrement de coeur, chaque fois qu'elle aperçut, derrière les carreaux verdâtres duVieil Elbeuf, le profil pâle et souffrant de Geneviève.Le soir, Denise songeait ainsi, en regardant ces demoiselles s'en aller avec leursamants. Celles qui ne couchaient pas au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, disparaissaient jusqu'aulendemain, rapportaient à leurs rayons l'odeur du dehors dans leurs jupes, tout uninconnu troublant. Et la jeune fille devait parfois répondre par un sourire au signe detête amical dont la saluait Pauline, que Baugé attendait régulièrement dès huit heureset demie, debout à l'angle de la fontaine Gaillon. Puis, après être sortie la dernière etavoir fait son tour furtif de promenade, toujours seule, elle était rentrée la première,elle travaillait ou se couchait, la tête occupée d'un rêve, prise de curiosité sur cetteexistence de Paris, qu'elle ignorait. Certes, elle ne jalousait pas ces demoiselles, elleétait heureuse de sa solitude, de cette sauvagerie où elle vivait enfermée, <strong>com</strong>me aufond d'un refuge; mais son imagination l'emportait, tâchait de deviner les choses,évoquait les plaisirs sans cesse contés devant elle, les cafés, les restaurants, lesthéâtres, les dimanches passés sur l'eau et dans les guinguettes. Toute une fatigued'esprit lui en restait, un désir mêlé de lassitude ; et il lui semblait être déjà rassasiéede ces amusements, dont elle n'avait jamais goûté.Cependant, il y avait peu de place pour les songeries dangereuses, au milieu de sonexistence de travail. Dans le magasin, sous l'écrasement <strong>des</strong> treize heures debesogne, on ne pensait guère à <strong>des</strong> tendresses, entre vendeurs et vendeuses. Si labataille continuelle de l'argent n'avait effacé les sexes, il aurait suffi, pour tuer le désir,de la bousculade de chaque minute, qui occupait la tête et rompait les membres. Àpeine pouvait-on citer quelques rares liaisons d'amour, parmi les hostilités et lescamaraderies d'homme à femme, les coudoiements sans fin de rayon à rayon.72
Tous n'étaient plus que <strong>des</strong> rouages, se trouvaient emportés par le branle de lamachine, abdiquant leur personnalité, additionnant simplement leurs forces, dans cetotal banal et puissant de phalanstère. <strong>Au</strong>-dehors seulement, reprenait la vieindividuelle, avec la brusque flambée <strong>des</strong> passions qui se réveillaient.Denise vit pourtant un jour Albert Lhomme ,le fils de la première, glisser un billet dansla main d'une demoiselle de la lingerie, après avoir traversé plusieurs fois le rayond'un air d'indifférence. On arrivait alors à la morte-saison d'hiver, qui va de décembreà février; et elle avait <strong>des</strong> moments de repos, <strong>des</strong> heures passées debout, les yeuxperdus dans les profondeurs du magasin, à attendre les clientes. Les vendeuses <strong>des</strong>confections voisinaient surtout avec les vendeurs <strong>des</strong> dentelles, sans que l'intimitéforcée allât plus loin que <strong>des</strong> plaisanteries, échangées tout bas. Il y avait, auxdentelles, un second farceur qui poursuivait Clara de confidences abominables,simplement pour rire, si détaché au fond, qu'il n'essayait seulement pas de laretrouver dehors; et c'étaient ainsi, d'un <strong>com</strong>ptoir à l'autre, entre ces messieurs et cesdemoiselles, <strong>des</strong> coups d'oeil d'intelligence, <strong>des</strong> mots qu'eux seuls <strong>com</strong>prenaient,parfois <strong>des</strong> causeries sournoises, le dos à demi-tourné, l'air rêveur, pour donner lechange au terrible Bourdoncle. Quant à Deloche, longtemps il se contenta de sourire,en regardant Denise; puis, il s'enhardit, lui murmura un mot d'amitié, lorsqu'il lacoudoya. Le jour où elle aperçut le fils de Mme <strong>Au</strong>rélie donnant un billet à la lingère,Deloche justement lui demandait si elle avait bien déjeuné, par besoin de s'intéresserà elle, et ne trouvant rien de plus aimable. Lui aussi vit la tache blanche de la lettre; ilregarda la jeune fille, tous deux rougirent de cette intrigue nouée devant eux.Mais Denise, sous ces haleines chau<strong>des</strong> qui éveillaient peu à peu la femme en elle,gardait encore sa paix d'enfant. Seule, la rencontre de Hutin lui remuait le coeur. Dureste, ce n'était à ses yeux que de la reconnaissance, elle se croyait uniquementtouchée de la politesse du jeune homme. Il ne pouvait amener une cliente au rayon,sans qu'elle demeurât confuse.Plusieurs fois, en revenant d'une caisse, elle se surprit faisant un détour, traversantinutilement le <strong>com</strong>ptoir <strong>des</strong> soieries, la gorge gonflée d'émotion. Un après-midi, elle ytrouva Mouret qui semblait la suivre d'un sourire. Il ne s'occupait plus d'elle, ne luiadressait de loin en loin une parole que pour la conseiller sur sa toilette et laplaisanter, en fille manquée, en sauvage qui tenait du garçon et dont il ne tireraitjamais une coquette, malgré sa science d'homme à bonnes fortunes; même il en riait,il <strong>des</strong>cendait jusqu'à <strong>des</strong> taquineries, sans vouloir s'avouer le trouble que lui causaitcette petite vendeuse, avec ses cheveux si drôles. Devant ce sourire muet, Denisetrembla, <strong>com</strong>me si elle était en faute. Savait-il donc pourquoi elle traversait la soierie,lorsqu'elle-même n'aurait pu expliquer ce qui la poussait à un pareil détour ?Hutin, d'ailleurs, ne paraissait nullement s'apercevoir <strong>des</strong> regards reconnaissants de lajeune fille. Ces demoiselles n'étaient pas son genre, il affectait de les mépriser, en sevantant plus que jamais d'aventures extraordinaires avec <strong>des</strong> clientes : à son<strong>com</strong>ptoir, une baronne avait eu le coup de foudre, et la femme d'un architecte lui étaittombée entre les bras, un jour qu'il allait chez elle pour une erreur de métrage. Souscette hâblerie normande, il cachait simplement <strong>des</strong> filles ramassées au fond <strong>des</strong>brasseries et <strong>des</strong> cafés-concerts. Comme tous les jeunes messieurs <strong>des</strong> nouveautés, ilavait une rage de dépense, se battant la semaine entière à son rayon, avec une âpretéd'avare, dans le seul désir de jeter le dimanche son argent à la volée, sur les champsde courses, au travers <strong>des</strong> restaurants et <strong>des</strong> bals ; jamais une économie, pas uneavance, le gain aussitôt dévoré que touché, l'insouciance absolue du lendemain.Favier n'était pas de ces parties. Hutin et lui, si liés au magasin, se saluaient à la porteet ne se parlaient plus ; beaucoup de vendeurs, en continuel contact, devenaient ainsi<strong>des</strong> étrangers, ignorant leurs vies, dès qu'ils mettaient le pied dans la rue. Mais Hutinavait pour intime Liénard. Tous deux habitaient le même hôtel, l'Hôtel de Smyrne, rueSainte-Anne, une maison noire entièrement occupée par <strong>des</strong> employés de <strong>com</strong>merce.Le matin, ils arrivaient ensemble ; puis, le soir, le premier libre, lorsque le déplié de73
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