matin et soir, en enfilant le passage Choiseul, afin de donner l'idée qu'elle logeaitpeut-être sur la rive gauche.- Voici nos derniers modèles, dit Denise. Nous les avons en plusieurs couleurs.Elle étalait quatre ou cinq manteaux. Mme Desforges les considérait d'un airdédaigneux ; et, à chacun, elle devenait plus dure. Pourquoi ces fronces, quiétriquaient le vêtement? et celui-ci, carré <strong>des</strong> épaules, ne l'aurait-on pas dit taillé àcoups de hache ? On avait beau aller en voyage, on ne s'habillait pas <strong>com</strong>me uneguérite.- Montrez-moi autre chose, mademoiselle.Denise dépliait les vêtements, les repliait, sans se permettre un geste d'humeur. Etc'était cette sérénité dans la patience qui exaspérait davantage Mme Desforges. Sesregards, continuellement, retournaient à la glace, en face d'elle.Maintenant, elle s'y regardait près de Denise, elle établissait <strong>des</strong> <strong>com</strong>paraisons. Étaitcepossible qu'on lui eût préféré cette créature insignifiante ? Elle se souvenait, cettecréature était bien celle qu'elle avait vue, autrefois, faire à ses débuts une figure sisotte, maladroite <strong>com</strong>me une gardeuse d'oies qui débarque de son village. Sans doute,aujourd'hui, elle se tenait mieux, l'air pincé et correct dans sa robe de soie.Seulement, quelle pauvreté, quelle banalité!- Je vais soumettre à madame d'autres modèles, disait tranquillement Denise.Quand elle revint, la scène re<strong>com</strong>mença. Puis, ce furent les draps qui étaient troplourds et qui ne valaient rien. Mme Desforges se tournait, élevait la voix, tâchaitd'attirer l'attention de Mme <strong>Au</strong>rélie, dans l'espoir de faire gronder la jeune fille. Maiscelle-ci, depuis sa rentrée, avait conquis peu à peu le rayon ; elle y était chez elle àprésent, et la première lui reconnaissait même <strong>des</strong> qualités rares de vendeuse, ladouceur obstinée, la conviction souriante. <strong>Au</strong>ssi Mme <strong>Au</strong>rélie haussa-t-elle légèrementles épaules, en se gardant d'intervenir.- Si madame voulait bien m'indiquer le genre ? demandait de nouveau Denise, avecson insistance polie que rien ne décourageait. - Mais puisque vous n'avez rien ! criaMme Desforges.Elle s'interrompit, étonnée de sentir une main se poser sur son épaule. C'était MmeMarty, que sa crise de dépense emportait au travers <strong>des</strong> magasins. Ses achats avaienttellement grossi, depuis les cravates, les gants brodés et l'ombrelle rouge, que ledernier vendeur venait de se décider à mettre sur une chaise le paquet, qui lui auraitcassé les bras ; et il la précédait, en tirant cette chaise, où s'entassaient <strong>des</strong> jupons,<strong>des</strong> serviettes, <strong>des</strong> rideaux, une lampe, trois paillassons.- Tiens ! dit-elle, vous achetez un manteau de voyage ?- Oh ! mon Dieu ! non, répondit Mme Desforges. Ils sont affreux.Mais Mme Marty était tombée sur un manteau à rayures, qu'elle ne trouvait pourtantpas mal. Sa fille Valentine l'examinait déjà. Alors, Denise appela Marguerite, pourdébarrasser le rayon de l'article, un modèle de l'année précédente, que cette dernière,sur un coup d'oeil de sa camarade, présenta <strong>com</strong>me une occasion exceptionnelle.Quand elle eut juré qu'on l'avait baissé de prix deux fois, que de cent cinquante onl'avait mis à cent trente, et qu'il était maintenant à cent dix, Mme Marty fut sans forcecontre la tentation du bon marché. Elle l'acheta, le vendeur qui l'ac<strong>com</strong>pagnait laissala chaise et tout le paquet <strong>des</strong> notes de débit, jointes aux marchandises.Cependant, derrière ces dames, au milieu <strong>des</strong> bouscula<strong>des</strong> de la vente, les<strong>com</strong>mérages du rayon continuaient sur Mme Frédéric.- Vrai ! elle avait quelqu'un ? disait une petite vendeuse, nouvelle au <strong>com</strong>ptoir.- L'homme <strong>des</strong> bains, pardi! répondait Clara. Faut se défier de ces veuves sitranquilles.Alors, tandis que Marguerite débitait le manteau, Mme Marty tourna la tête ; et,désignant Clara d'un léger mouvement <strong>des</strong> paupières, elle dit très bas à MmeDesforges :- Vous savez, le caprice de M. Mouret.140
L'autre, surprise, regarda Clara, puis reporta les yeux sur Denise, en répondant :- Mais non, pas la grande, la petite !Et, <strong>com</strong>me Mme Marty n'osait plus rien affirmer, Mme Desforges ajouta à voix plushaute, avec un mépris de dame pour <strong>des</strong> femmes de chambre :- Peut-être la petite et la grande, toutes celles qui veulent ! Denise avait entendu. Elleleva ses grands yeux purs sur cette dame qui la blessait ainsi et qu'elle ne connaissaitpas. Sans doute, c'était la personne dont on lui avait parlé, cette amie que le patronvoyait au-dehors. Dans le regard qu'elles échangèrent, Denise eut alors une dignité sitriste, une telle franchise d'innocence, qu'Henriette resta gênée.- Puisque vous n'avez rien de possible à me montrer, dit-elle brusquement, conduisezmoiaux robes et costumes.- Tiens ! cria Mme Marty, j'y vais avec vous... Je voulais voir un costume pourValentine.Marguerite prit la chaise par le dossier, et la traîna, renversée, sur les pieds dederrière, qu'un tel charriage usait à la longue.Denise ne portait que les mètres de foulard, achetés par Mme Desforges. C'était toutun voyage, maintenant que les robes et costumes se trouvaient au second, à l'autrebout <strong>des</strong> magasins.Et le grand voyage <strong>com</strong>mença, le long <strong>des</strong> galeries en<strong>com</strong>brées. En tête marchaitMarguerite, tirant la chaise <strong>com</strong>me une petite voiture, s'ouvrant un chemin aveclenteur. Dès la lingerie, Mme Desforges se plaignit : était-ce ridicule, ces bazars où ilfallait faire deux lieues pour mettre la main sur le moindre article ! Mme Marty sedisait aussi morte de fatigue ; et elle n'en jouissait pas moins profondément de cettefatigue, de cette mort lente de ses forces, au milieu de l'inépuisable déballage <strong>des</strong>marchandises. Le coup de génie de Mouret la tenait tout entière.<strong>Au</strong> passage, chaque rayon l'arrêtait. Elle fit une première halte devant les trousseaux,tentée par <strong>des</strong> chemises que Pauline lui vendit, et Marguerite se trouva débarrasséede la chaise, ce fut Pauline qui dut la prendre. Mme Desforges aurait pu continuer samarche, pour libérer Denise plus vite ; mais elle semblait heureuse de la sentirderrière elle, immobile et patiente, tandis qu'elle s'attardait également, à conseillerson amie. <strong>Au</strong>x layettes, ces dames s'extasièrent, sans rien acheter. Puis, les faiblessesde Mme Marty re<strong>com</strong>mencèrent : elle suc<strong>com</strong>ba successivement devant un corset <strong>des</strong>atin noir, <strong>des</strong> manchettes de fourrure vendues au rabais, à cause de la saison, <strong>des</strong>dentelles russes dont on garnissait alors le linge de table. Tout cela s'empilait sur lachaise, les paquets montaient, faisaient craquer le bois ; et les vendeurs qui sesuccédaient, s'attelaient avec plus de peine, à mesure que la charge devenait pluslourde.- Par ici, madame, disait Denise sans une plainte, après chaque halte.- Mais c'est stupide ! criait Mme Desforges. Nous n'arriverons jamais. Pourquoi n'avoirpas mis les robes et costumes près <strong>des</strong> confections ? En voilà un gâchis !Mme Marty, dont les yeux se dilataient, grisée par ce défilé de choses riches quidansaient devant elle, répétait à demi-voix :- Mon Dieu ! que va dire mon mari ?... Vous avez raison, il n'y a pas d'ordre, dans cemagasin. On se perd, on fait <strong>des</strong> bêtises.Sur le grand palier central, la chaise eut peine à passer.Mouret, justement, venait d'en<strong>com</strong>brer le palier d'un déballage d'articles de Paris, <strong>des</strong>coupes montées sur du zinc doré, <strong>des</strong> nécessaires et <strong>des</strong> caves à liqueur de camelote,trouvant qu'on y circulait trop librement, que la foule ne s'y étouffait pas. Et, là, ilavait autorisé un de ses vendeurs à exposer, sur une petite table, <strong>des</strong> curiosités de laChine et du Japon, quelques bibelots à bas prix, que les clientes s'arrachaient.C'était un succès inattendu, déjà il rêvait d'élargir cette vente.Mme Marty, pendant que deux garçons montaient la chaise au second étage, achetasix boutons d'ivoire, <strong>des</strong> souris en soie, un porte-allumettes en émail cloisonné.141
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lentement au milieu des commis resp
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Mais elles le pressaient de questio
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pair, il couchait au magasin, où i
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coup de hache. Tout lui devenait pr
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père tuerait sans cela. Alors, com
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