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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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oubliait qu'il était de l'établissement, il félicitait aussi son patron, afin de lui faireoublier ses doutes et ses préoccupations inquiètes du matin.- Oui, oui, ça marche assez bien, je suis content, répétait Mouret radieux, répondantpar un sourire aux tendres regards d'Henriette. Mais il ne faut pas que je vousdérange, mesdames.Alors, tous les yeux revinrent sur Denise. Elle s'abandonnait aux mains de Marguerite,qui la faisait tourner lentement.- Hein ? qu'en pensez-vous ? demanda Mme Marty à Mme Desforges.Cette dernière décidait, en arbitre suprême de la mode.- Il n'est pas mal, et de coupe originale... Seulement, il me semble peu gracieux de lataille.- Oh ! intervint Mme <strong>Au</strong>rélie, il faudrait le voir sur madame elle-même... Vous<strong>com</strong>prenez, il ne fait aucun effet sur mademoiselle, qui n'est guère étoffée...Redressez-vous donc, mademoiselle, donnez-lui toute son importance.On sourit. Denise était devenue très pâle. Une honte la prenait, d'être ainsi changéeen une machine qu'on examinait et dont on plaisantait librement. Mme Desforges,cédant à une antipathie de nature contraire, agacée par le visage doux de la jeunefille, ajouta méchamment :- Sans doute, il irait mieux si la robe de mademoiselle était moins large.Et elle jetait à Mouret le regard moqueur d'une Parisienne, que l'attifement ridiculed'une provinciale égayait. Celui-ci sentit la caresse amoureuse de ce coup d'oeil, letriomphe de la femme heureuse de sa beauté et de son art. <strong>Au</strong>ssi, par gratituded'homme adoré, crut-il devoir railler à son tour, malgré la bienveillance qu'il éprouvaitpour Denise, dont sa nature galante subissait le charme secret.- Puis, il faudrait être peignée, murmura-t-il.Ce fut le <strong>com</strong>ble. Le directeur daignait rire, toutes ces demoiselles éclatèrent.Marguerite risqua un léger gloussement de fille distinguée qui se retient ; Clara avaitlâché une vente, pour se faire du bon sang à son aise ; même <strong>des</strong> vendeuses de lalingerie étaient venues, attirées par la rumeur. Quant à ces dames, elles s'amusaientplus discrètement, d'un air d'intelligence mondaine ; tandis que, seul, le profil impérialde Mme <strong>Au</strong>rélie ne riait pas, <strong>com</strong>me si les beaux cheveux sauvages et les finesépaules virginales de la débutante l'eussent déshonorée, dans la bonne tenue de sonrayon. Denise avait encore pâli, au milieu de tout ce monde qui se moquait. Elle sesentait violentée, mise à nu, sans défense. Quelle était donc sa faute, pour qu'ons'attaquât de la sorte à sa taille trop mince, à son chignon trop lourd ? Mais ellesouffrait surtout du rire de Mouret et de Mme Desforges, avertie par un instinct de leurentente, le coeur défaillant d'une douleur inconnue ; cette dame était bien mauvaise,de s'en prendre ainsi à une pauvre fille qui ne disait rien ; et lui, décidément, la glaçaitd'une peur où tous ses autres sentiments sombraient, sans qu'elle pût les analyser.Alors, dans son abandon de paria, atteinte à ses plus intimes pudeurs de femme etrévoltée contre l'injustice, elle étrangla les sanglots qui lui montaient à la gorge.- N'est-ce pas ? Qu'elle se peigne demain, c'est inconvenant, répétait à Mme <strong>Au</strong>rélie leterrible Bourdonde, qui dès l'arrivée avait condamné Denise, plein de mépris pour sespetits membres.Et la première vint enfin enlever le manteau <strong>des</strong> épaules de celle-ci, en lui disant toutbas :- Eh bien! mademoiselle, voilà un joli début. Vraiment, si vous avez voulu montrer cedont vous êtes capable... On n'est pas plus sotte.Denise, de peur que les larmes ne lui jaillissent <strong>des</strong> yeux, se hâta de retourner au tasde vêtements qu'elle transportait et qu'elle classait sur un <strong>com</strong>ptoir. Là, au moins, elleétait perdue dans la foule, la fatigue l'empêchait de penser. Mais elle sentit près d'ellela vendeuse de la lingerie, qui, le matin déjà, avait pris sa défense. Cette dernièrevenait de suivre la scène, elle lui murmurait à l'oreille :62

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