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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Denise <strong>des</strong>cendait toujours sans répondre, sans tourner la tête. Pourtant, lorsqu'ellepassa devant la salle à manger <strong>des</strong> chefs de <strong>com</strong>ptoir et <strong>des</strong> seconds, elle ne puts'empêcher d'y jeter un coup d'oeil. Robineau était là, en effet. Elle tâcherait de luiparler, l'après-midi; et elle continua de suivre le corridor, pour se rendre à sa table,qui se trouvait à l'autre bout.Les femmes mangeaient à part, dans deux salles réservées.Denise entra dans la première. C'était également une ancienne cave, transformée enréfectoire; mais on l'avait aménagée avec plus de confort. Sur la table ovale, placéeau milieu, les quinze couverts s'espaçaient davantage, et le vin était dans <strong>des</strong> carafes;un plat de raie et un plat de boeuf à la sauce piquante tenaient les deux bouts. Desgarçons en tablier blanc servaient ces dames, ce qui évitait à celles-ci le désagrémentde prendre elles mêmes leurs portions au guichet. La direction avait trouvé cela plusdécent.- Vous avez donc fait le tour ? demanda Pauline, assise déjà et se coupant du pain.- Oui, répondit Denise en rougissant, j'ac<strong>com</strong>pagnais une cliente.Elle mentait. Clara poussa le coude d'une vendeuse, sa voisine. Qu'avait donc la malpeignée, ce jour-là? Elle était toute singulière. Coup sur coup, elle recevait <strong>des</strong> lettresde son amant; puis, elle courait le magasin <strong>com</strong>me une perdue, elle prétextait <strong>des</strong><strong>com</strong>missions à l'atelier, où elle n'allait seulement pas.Pour sûr, il se passait quelque histoire. Alors, Clara, tout en mangeant sa raie sansdégoût, avec une insouciance de fille nourrie autrefois de lard rance, causa d'un drameaffreux, dont le récit emplissait les journaux.- Vous avez lu, cet homme qui a guillotiné sa maîtresse d'un coup de rasoir?- Dame ! fit remarquer une petite lingère, de visage doux et délicat, il l'avait trouvéeavec un autre. C'est bien fait.Mais Pauline se récria. Comment! parce qu'on n'aimera plus un monsieur, il lui serapermis de vous trancher la gorge ! Ah ! non, par exemple! Et, s'interrompant, setournant vers le garçon de service:- Pierre, je ne puis pas avaler le boeuf, vous savez... Dites donc qu'on me fasse unpetit supplément, une omelette, hein !et moelleuse, s'il est possible !Pour attendre, <strong>com</strong>me elle avait toujours <strong>des</strong> gourmandises dans les poches, elle ensortit <strong>des</strong> pastilles de chocolat, qu'elle se mit à croquer avec son pain.- Certainement, ce n'est pas drôle, un homme pareil, reprit Clara. Et il y en a <strong>des</strong>jaloux! L'autre jour encore, c'était un ouvrier qui jetait sa femme dans un puits !Elle ne quittait pas Denise <strong>des</strong> yeux, elle crut avoir deviné, en la voyant pâlir.Évidemment, cette sainte nitouche tremblait d'être giflée par son amoureux, qu'elledevait tromper.Ce serait drôle, s'il la relançait jusque dans le magasin, <strong>com</strong>me elle semblait lecraindre. Mais la conversation tournait, une vendeuse donnait une recette pourdétacher le velours. On parla ensuite d'une pièce de la Gaieté, où <strong>des</strong> amours depetites filles dansaient mieux que <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> personnes. Pauline, attristée un instantpar la vue de son omelette qui était trop cuite, reprenait sa gaieté, en ne la trouvantpas trop mauvaise.- Passez-moi donc le vin, dit-elle à Denise. Vous devriez vous <strong>com</strong>mander uneomelette.- Oh ! le boeuf me suffit, répondit la jeune fille, qui, pour ne rien dépenser, s'en tenaità la nourriture de la maison, si répugnante qu'elle fût.Lorsque le garçon apporta le riz au gratin, ces demoiselles protestèrent. Elles l'avaientlaissé, la semaine d'auparavant, et elles espéraient qu'il ne reparaîtrait plus. Denise,distraite, troublée au sujet de Jean par les histoires de Clara, fut la seule à en manger; et toutes la regardaient, d'un air de dégoût. Il y eut une débauche de suppléments,elles s'emplirent de confiture. C'était du reste une élégance, il fallait se nourrir sur son92

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