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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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va avec tout le monde, elle se moque de vous, jamais vous ne l'aurez, ou bien vousl'aurez <strong>com</strong>me les autres, une fois, en passant.Très pâle, il l'écoutait ; et, à chacune <strong>des</strong> phrases qu'elle lui jetait à la face, entre sesdents serrées, il avait un petit tremblement <strong>des</strong> lèvres. Elle, prise de cruauté, cédait àun emportement dont elle n'avait pas conscience.- Enfin, dit-elle dans un dernier cri, elle est avec M. Mouret, si vous voulez le savoir !Sa voix s'était étranglée, elle devint plus pâle que lui. Tous deux se regardèrent.Puis, il bégaya :- Je l'aime.Alors, Denise fut honteuse. Pourquoi parlait-elle ainsi à ce garçon et qu'avait-elle à sepassionner ? Elle resta muette, le simple mot qu'il venait de répondre lui retentissaitdans le coeur, avec un lointain bruit de cloche, dont elle était assourdie. " Je l'aime, jel'aime ", et cela s'élargissait : il avait raison, il ne pouvait en épouser une autre.Comme elle se tournait, elle aperçut Geneviève, sur le seuil de la salle à manger.- Taisez-vous ! dit-elle rapidement.Mais il était trop tard, Geneviève devait avoir entendu. Elle n'avait plus de sang auvisage. Justement, une cliente poussait la porte, Mme Bourdelais, une <strong>des</strong> dernièresfidèles du Vieil Elbeuf, où elle trouvait <strong>des</strong> articles soli<strong>des</strong> ; depuis longtemps, Mme deBoves avait suivi la mode, en passant au <strong>Bonheur</strong>, Mme Marty elle-même ne venaitplus, conquise tout entière par les séductions <strong>des</strong> étalages d'en face. Et Geneviève futforcée d'avancer, pour dire de sa voix blanche :- Que désire madame ?Mme Bourdelais voulait voir de la flanelle. Colomban <strong>des</strong>cendit une pièce d'un casier,Geneviève montra l'étoffe ; et, tous deux, les mains froi<strong>des</strong>, se trouvaient rapprochésderrière le <strong>com</strong>ptoir. Cependant, Baudu sortait le dernier de la petite salle, à la suitede sa femme, qui était allée s'asseoir sur la banquette de la caisse. Mais il ne se mêlapas d'abord de la vente, il avait souri à Denise, et se tenait debout, en regardant MmeBourdelais.- Elle n'est pas assez belle, disait celle-ci. Montrez-moi ce que vous avez de plus fort.Colomban <strong>des</strong>cendit une autre pièce. Il y eut un silence. Mme Bourdelais examinaitl'étoffe.- Et <strong>com</strong>bien ?- Six francs, madame, répondit Geneviève. La cliente fit un brusque mouvement.- Six francs ! mais ils ont la même, en face, à cinq francs.Une contraction légère passa sur le visage de Baudu: Il ne put s'empêcherd'intervenir, très poliment. Madame se trompait sans doute, cet article-là aurait dûêtre vendu six francs cinquante, il était impossible qu'on le donnât à cinq francs.Certainement, il s'agissait d'un autre article.- Non, non, répétait-elle, avec l'entêtement d'une bourgeoise qui se piquait de s'yconnaître. L'étoffe est la même. Peut-être encore est-elle plus épaisse.Et la discussion finit par s'aigrir, Baudu, la bile au visage, faisait effort pour restersouriant. Son amertume contre le <strong>Bonheur</strong> crevait dans sa gorge.- Vraiment, dit enfin Mme Bourdelais, il faut me mieux traiter, autrement, j'irai enface, <strong>com</strong>me les autres.Alors, il perdit la tête, il cria, secoué de colère contenue :- Eh bien ! allez en face !Du coup, elle se leva, très blessée, et elle s'en alla, sans se retourner, en répondant :- C'est ce que je vais faire, monsieur.Ce fut une stupeur. La violence du patron les avait tous saisis. Il restait lui-mêmeeffaré et tremblant de ce qu'il venait de dire. La phrase était partie sans qu'il le voulût,dans l'explosion d'une longue rancune amassée. Et, maintenant, les Baudu,immobiles, les bras tombés, suivaient du regard Mme Bourdelais, qui traversait la rue.Elle leur semblait emporter leur fortune. Lorsque, de son pas tranquille, elle entra sous125

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