- Oh ! je me vengerai, murmura-t-elle, je me vengerai, s'il se conduit mal !Bouthemont lui tenait toujours les mains. Elle était encore belle. Ce serait seulementune maîtresse gênante, et il n'aimait guère ce genre-là. La chose pourtant méritaitréflexion, il y aurait peut-être intérêt à risquer <strong>des</strong> ennuis.- Pourquoi ne vous établissez-vous pas ? dit-elle tout d'un coup, en se dégageant.Il demeura étonné. Puis, il répondit :- Mais il faudrait <strong>des</strong> fonds considérables... L'année dernière, une idée m'a bientravaillé la tête. Je suis convaincu qu'on trouverait encore, dans Paris, la clientèle d'unou deux grands magasins; seulement il faudrait choisir le quartier. Le Bon Marché a larive gauche, le Louvre tient le centre ; nous accaparons, au <strong>Bonheur</strong>, les quartiersriches de l'ouest. Reste le nord, où l'on pourrait créer une concurrence à la placeClichy.Et j'avais découvert une situation superbe, près de l'Opéra...- Eh bien ?Il se mit à rire bruyamment.- Imaginez-vous que j'ai eu la bêtise de parler de cela à mon père... Oui, j'ai été asseznaïf pour le prier de chercher <strong>des</strong> actionnaires à Toulouse.Et il conta gaiement la colère du bonhomme, enragé contre les grands bazarsparisiens, du fond de sa petite boutique de province. Le vieux Bouthemont, que lestrente mille francs gagnés par son fils suffoquaient, avait répondu qu'il donnerait sonargent et celui de ses amis aux hospices, plutôt que de contribuer pour un centime àun de ces grands magasins qui étaient les maisons de tolérance du <strong>com</strong>merce.- D'ailleurs, conclut le jeune homme, il faudrait <strong>des</strong> millions.- Si on les trouvait ? dit simplement Mme Desforges.Il la regarda, subitement sérieux. N'était-ce qu'une parole de femme jalouse ? Maiselle ne lui laissa pas le temps de la questionner, elle ajouta :- Enfin, vous savez <strong>com</strong>bien je m'intéresse à vous... Nous en recauserons.Le timbre de l'anti-chambre avait retenti. Elle se leva, et lui-même, d'un mouvementinstinctif, recula sa chaise, <strong>com</strong>me si déjà l'on eût pu les surprendre. Un silence régna,dans le salon aux tentures riantes, garni d'une telle profusion de plantes vertes, qu'il yavait <strong>com</strong>me un petit bois entre les deux fenêtres.Debout, l'oreille vers la porte, elle attendait.- C'est lui, murmura-t-elle.Le domestique annonça :- M. Mouret, M. de Vallagnosc.Elle ne put retenir un geste de colère. Pourquoi ne venait-il pas seul ? Il devait êtreallé chercher son ami, dans la crainte d'un tête-à-tête possible. Puis, elle eut unsourire, elle tendit la main aux deux hommes.- Comme vous devenez rare !... Je dis cela aussi pour vous, monsieur de Vallagnosc.Son désespoir était de grossir, elle se serrait dans <strong>des</strong> toilettes de soie noire, afin dedissimuler l'embonpoint qui montait. Pourtant, sa jolie tête, aux cheveux sombres,gardait sa finesse aimable. Et Mouret put lui dire familièrement, en l'enveloppant d'unregard :- Il est inutile de vous demander de vos nouvelles, Vous êtes fraîche <strong>com</strong>me une rose.- Oh ! je me porte trop bien, répondit-elle. Du reste, j'aurais pu mourir, vous n'enauriez rien su.Elle l'examinait aussi, le trouvait nerveux et las, les paupières battues, le teint plombé.- Eh bien! reprit-elle d'un ton qu'elle tâcha de rendre plaisant, je ne vous rendrai pasvotre flatterie, vous n'avez guère bonne mine, ce soir.- Le travail ! dit Vallagnosc.Mouret eut un geste vague, sans répondre. Il venait d'apercevoir Bouthemont, il luiadressait un signe amical de la tête.166
<strong>Au</strong> temps de leur grande intimité, il l'enlevait lui-même au rayon, et l'amenait chezHenriette, pendant le gros travail de l'après-midi. Mais les temps étaient changés, il luidit à demi-voix :- Vous avez filé de bien bonne heure... Vous savez qu'ils se sont aperçus de votresortie et qu'ils sont furieux, là-bas.Il parlait de Bourdoncle et <strong>des</strong> autres intéressés, <strong>com</strong>me s'il n'avait pas été le maître.- Ah ! murmura Bouthemont, inquiet.- Oui, j'ai à causer avec vous... Attendez-moi, nous nous en irons ensemble.Cependant, Henriette s'était assise de nouveau ; et, tout en écoutant Vallagnosc, quilui annonçait la visite probable de Mme de Boves, elle ne quittait pas Mouret <strong>des</strong> yeux.Celui-ci, redevenu muet, regardait les meubles, semblait chercher au plafond. Puis,<strong>com</strong>me elle se plaignait en riant de n'avoir plus que <strong>des</strong> hommes à son thé de quatreheures, il s'oublia jusqu'à lâcher cette phrase :- Je croyais trouver le baron Hartmann.Henriette avait pâli. Sans doute elle savait qu'il venait chez elle uniquement pour s'yrencontrer avec le baron ; mais il aurait pu ne pas lui jeter ainsi son indifférence à laface. Justement, la porte s'était ouverte, et le domestique se tenait debout derrièreelle. Quand elle l'eut interrogé d'un mouvement de tête, il se pencha, il lui dit très bas:- C'est pour ce manteau. Madame m'a re<strong>com</strong>mandé de la prévenir... La demoiselle estlà.Alors, elle haussa la voix de façon à être entendue. Toute sa souffrance jalouse sesoulagea dans ces mots, d'une sécheresse méprisante :- Qu'elle attende !- Faut-il la faire entrer dans le cabinet de madame ?- Non, non, qu'elle reste dans l'anti-chambre ! Et, quand le domestique fut sorti, ellereprit tranquillement sa conversation avec Vallagnosc. Mouret, retombé dans salassitude, avait écouté d'une oreille distraite, sans <strong>com</strong>prendre.Bouthemont, que préoccupait l'aventure, réfléchissait.Mais presque aussitôt la porte se rouvrit, deux dames furent introduites.- Imaginez-vous, dit Mme Marty, je <strong>des</strong>cendais de voiture, lorsque j'ai vu arriver Mmede Boves sous les arca<strong>des</strong>.- Oui, expliqua celle-ci, il fait beau, et <strong>com</strong>me mon médecin veut toujours que jemarche...Puis, après un échange général de poignées de mains, elle demanda à Henriette :- Vous prenez donc une nouvelle femme de chambre ?- Non, répondit celle-ci étonnée. Pourquoi ?- C'est que je viens de voir dans l'anti-chambre une jeune fille...Henriette l'interrompit en riant.- N'est-ce pas ? toutes ces filles de boutique ont l'air de femmes de chambre... Oui,c'est une demoiselle qui vient pour corriger un manteau.Mouret la regarda fixement, effleuré d'un soupçon. Elle continuait avec une gaietéforcée, elle racontait qu'elle avait acheté cette confection au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, lasemaine précédente.- Tiens ! dit Mme Marty, ce n'est donc plus Sauveur qui vous habille ?- Si, ma chère, seulement j'ai voulu faire une expérience.Et puis, j'étais assez satisfaite d'un premier achat, d'un manteau de voyage... Mais,cette fois, ça n'a pas réussi du tout. Vous avez beau dire, on est fagotée, dans vosmagasins. Oh! je ne me gêne pas, je parle devant M. Mouret... Jamais vousn'habillerez une femme un peu distinguée.Mouret ne défendait pas sa maison, les yeux toujours sur elle, se rassurant, se disantqu'elle n'aurait point osé. Et ce fut Bouthemont qui dut plaider la cause du <strong>Bonheur</strong>.- Si toutes les femmes du beau monde qui s'habillent chez nous s'en vantaient,répliqua-t-il gaiement, vous seriez bien étonnée de notre clientèle... Commandez-nous167
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père tuerait sans cela. Alors, com
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commissionnaire ; mais chez qui la
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