12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

l'assemblage <strong>des</strong> poutres et <strong>des</strong> solives. Les voûtins <strong>des</strong> planchers, les cloisons <strong>des</strong>distributions intérieures, étaient en briques. Partout on avait gagné de l'espace, l'air etla lumière entraient librement, le public circulait à l'aise, sous le jet hardi <strong>des</strong> fermes àlongue portée.C'était la cathédrale du <strong>com</strong>merce moderne solide et légère, faite pour un peuple declientes. En bas, dans la galerie centrale, après les sol<strong>des</strong> de la porte, il y avait lescravates, la ganterie, la soie ; la galerie Monsigny était occupée par le blanc et larouennerie, la galerie Michodière par la mercerie, la bonneterie, la draperie et leslainages. Puis, au premier, se trouvaient les confections, la lingerie, les châles, lesdentelles, d'autres rayons nouveaux, tandis qu'on avait relégué au second étage laliterie, les tapis, les étoffes d'ameublement, tous les articles en<strong>com</strong>brants et d'unmaniement difficile. A cette heure, le nombre <strong>des</strong> rayons était de trente-neuf, et l'on<strong>com</strong>ptait dix-huit cents employés, dont deux cents femmes.Un monde poussait là, dans la vie sonore <strong>des</strong> hautes nefs métalliques.Mouret avait l'unique passion de vaincre la femme. Il la voulait reine dans sa maison,il lui avait bâti ce temple, pour l'y tenir à sa merci. C'était toute sa tactique, la griserd'attentions galantes et trafiquer de ses désirs, exploiter sa fièvre. <strong>Au</strong>ssi, nuit et jour,se creusait-il la tête, à la recherche de trouvailles nouvelles. Déjà, voulant éviter lafatigue <strong>des</strong> étages aux dames délicates, il avait fait installer deux ascenseurs,capitonnés de velours. Puis, il venait d'ouvrir un buffet, où l'on donnait gratuitement<strong>des</strong> sirops et <strong>des</strong> biscuits, et un salon de lecture, une galerie monumentale, décoréeavec un luxe trop riche, dans laquelle il risquait même <strong>des</strong> expositions de tableaux.Mais son idée la plus profonde était, chez la femme sans coquetterie, de conquérir lamère par l'enfant ; il ne perdait aucune force, spéculait sur tous les sentiments, créait<strong>des</strong> rayons pour petits garçons et fillettes, arrêtait les mamans au passage, en offrantaux bébés <strong>des</strong> images et <strong>des</strong> ballons. Un trait de génie que cette prime <strong>des</strong> ballons,distribuée à chaque acheteuse, <strong>des</strong> ballons rouges, à la fine peau de caoutchouc,portant en grosses lettres le nom du magasin, et qui, tenus au bout d'un fil, voyageanten l'air, promenaient par les rues une réclame vivante !La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par antrois cent mille francs de catalogues, d'annonces et d'affiches. Pour sa mise en vente<strong>des</strong> nouveautés d'été, il avait lancé deux cent mille catalogues, dont cinquante mille àl'étranger, traduits dans toutes les langues.Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les ac<strong>com</strong>pagnait même d'échantillons,collés sur les feuilles. C'était un débordement d'étalages, le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>sautait aux yeux du monde entier, envahissait les murailles, les journaux, jusqu'auxrideaux <strong>des</strong> théâtres. Il professait que la femme est sans force contre la réclame,qu'elle finit fatalement par aller au bruit. Du reste, il lui tendait <strong>des</strong> pièges plussavants, il l'analysait en grand moraliste. Ainsi, il avait découvert qu'elle ne résistaitpas au bon marché, qu'elle achetait sans besoin, quand elle croyait conclure uneaffaire avantageuse; et, sur cette observation, il basait son système <strong>des</strong> diminutionsde prix, il baissait progressivement les articles non vendus, préférant les vendre àperte, fidèle au principe du renouvellement rapide <strong>des</strong> marchandises. Puis, il avaitpénétré plus avant encore dans le coeur de la femme, il venait d'imaginer "es rendus",un chef d'oeuvre de séduction jésuitique. "Prenez toujours, madame: vous nousrendrez l'article, s'il cesse de vous plaire." Et la femme, qui résistait, trouvait-là unedernière excuse, la possibilité de revenir sur une folie: elle prenait, la conscience enrègle. Maintenant, les rendus et la baisse <strong>des</strong> prix entraient dans le fonctionnementclassique du nouveau <strong>com</strong>merce.Mais où Mouret se révélait <strong>com</strong>me un maître sans rival, c'était dans l'aménagementintérieur <strong>des</strong> magasins. Il posait en loi que pas un coin du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> nedevait rester désert; partout, il exigeait du bruit, de la foule, de la vie ; car la vie,disait-il, attire la vie, enfante et pullule. De cette loi, il tirait toutes sortesd'applications. D'abord, on devait s'écraser pour entrer, il fallait que, de la rue, on crût128

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!