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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Justement, il avait imaginé le coup ingénieux d'acheter, pour ses confections, la soiechez son rival. De cette façon, c'était Mouret, ce n'était pas lui qui perdait sur l'étoffe.Il coupait simplement la lisière.- Vraiment, vous trouvez le Paris-<strong>Bonheur</strong> plus épais? murmura-t-il.- Oh ! cent fois, dit Mme de Boves. Il n'y a pas de <strong>com</strong>paraison.Cette injustice de la cliente, dépréciant quand même la marchandise, l'indignait. Et,<strong>com</strong>me elle retournait toujours la rotonde de son air dégoûté, un petit bout de lalisière bleu et argent, échappé aux ciseaux, parut sous la doublure. Alors, il ne put secontraindre davantage, il avoua, il aurait donné sa tête.- Eh bien ! madame, cette soie est du Paris-<strong>Bonheur</strong>, je l'ai achetée moi-même,parfaitement !... Voyez la lisière.Mme de Boves partit très vexée. Beaucoup de ces dames le quittèrent, l'histoire avaitcouru. Et lui, au milieu de cette ruine, lorsque l'épouvante du lendemain le prenait, netremblait que pour sa femme, élevée dans une paix heureuse, incapable de vivrepauvre. Que deviendrait-elle, si une catastrophe les mettait sur le pavé, avec <strong>des</strong>dettes? C'était sa faute, jamais il n'aurait dû toucher aux soixante mille francs. Il fallaitqu'elle le consolât. Est-ce que cet argent n'était pas à lui <strong>com</strong>me à elle ? Il l'aimaitbien, elle n'en demandait pas davantage, elle lui donnait tout, son coeur, sa vie. Dansl'arrière-boutique, on les entendait s'embrasser. Peu à peu, le train de la maison serégularisa ; chaque fois, les pertes augmentaient, dans une proportion lente, quireculait l'issue fatale. L'espoir tenace les laissait debout, ils annonçaient toujours ladéconfiture prochaine du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>.- Bah ! disait-il, nous sommes jeunes aussi, nous autres...L'avenir est à nous.- Et puis, qu'importe ? si tu as fait ce que tu voulais faire, reprenait-elle. Pourvu quetu te contentes, ça me contente, mon bon chéri.Denise se prenait d'affection, en voyant leur tendresse. Elle tremblait, elle sentait lachute inévitable ; mais elle n'osait plus intervenir. Ce fut là qu'elle acheva de<strong>com</strong>prendre la puissance du nouveau <strong>com</strong>merce et de se passionner pour cette forcequi transformait Paris. Ses idées mûrissaient, une grâce de femme se dégageait, enelle, de l'enfant sauvage débarquée de Valognes. Du reste, sa vie était assez douce,malgré sa fatigue et son peu d'argent. Lorsqu'elle avait passé la journée debout, il luifallait rentrer vite, s'occuper de Pépé, que le vieux Bourras, heureusement, s'obstinaità nourrir; mais c'étaient encore <strong>des</strong> soins, une chemise à laver, une blouse àrecoudre, sans <strong>com</strong>pter le tapage du petit, dont elle avait la tête fendue.Elle ne se couchait jamais avant minuit. Le dimanche était un jour de grosse besogne :elle nettoyait sa chambre, se rac<strong>com</strong>modait elle-même, si occupée, qu'elle ne sepeignait souvent qu'à cinq heures. Cependant, elle sortait quelquefois par raison,emmenait l'enfant, lui faisait faire une longue course à pied, du côté de Neuilly ; etleur régal était de boire, là-bas, une tasse de lait chez un nourrisseur, qui les laissaits'asseoir dans sa cour.Jean dédaignait ces parties ; il se montrait de loin en loin, les soirs de semaine, puisdisparaissait, en prétextant d'autres visites ; il ne demandait plus d'argent, mais ilarrivait avec <strong>des</strong> airs si mélancoliques, que sa soeur, inquiète, avait toujours pour luiune pièce de cent sous de côté. Son luxe était là.- Cent sous ! criait chaque fois Jean. Sacristi ! tu es trop gentille !... Justement, il y ala femme du papetier...- Tais-toi, interrompait Denise. Je n'ai pas besoin de savoir.Mais il croyait qu'elle l'accusait de se vanter.- Quand je te dis qu'elle est la femme d'un papetier ! :.. Oh ! quelque chose demagnifique !Trois mois se passèrent. Le printemps revenait, Denise refusa de retourner à Joinvilleavec Pauline et Baugé. Elle les rencontrait parfois rue Saint-Roch, en sortant de chezRobineau.108

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