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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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la haute porte du <strong>Bonheur</strong>, lorsqu'ils virent son dos se noyer dans la foule, il y eut eneux <strong>com</strong>me un arrachement.- Encore une qu'ils nous prennent! murmura le drapier.Puis, se tournant vers Denise, dont il connaissait l'engagement nouveau:- Toi aussi, ils t'ont reprise... Va, je ne t'en veux pas.Puisqu'ils ont l'argent, ils sont les plus forts.Justement, Denise, espérant encore que Geneviève n'avait pu entendre Colomban, luidisait à l'oreille :- Il vous aime, soyez plus gaie.Mais la jeune fille lui répondit très bas, d'une voix déchirée :- Pourquoi mentez-vous ?... Tenez ! il ne peut s'en empêcher, il regarde là-haut... Jesais bien qu'ils me l'ont volé, <strong>com</strong>me ils nous volent tout.Et elle s'était assise sur la banquette de la caisse, près de sa mère. Celle-ci avait sansdoute deviné le nouveau coup reçu par la jeune fille, car ses yeux navrés allèrentd'elle à Colomban, puis se reportèrent sur le <strong>Bonheur</strong>. C'était vrai, il leur volait tout :au père, la fortune ; à la mère, son enfant mourante ; à la fille, un mari attendudepuis dix ans. Devant cette famille condamnée, Denise, dont le coeur se noyait de<strong>com</strong>passion, eut un instant peur d'être mauvaise. N'allait-elle pas remettre la main àla machine qui écrasait le pauvre monde ? Mais elle se trouvait <strong>com</strong>me emportée parune force, elle sentait qu'elle ne faisait pas le mal.- Bah ! reprit Baudu pour se donner du courage, nous n'en mourrons pas. Une clienteperdue, deux de retrouvées... Tu entends, Denise ; j'ai là soixante-dix mille francs quivont faire passer <strong>des</strong> nuits blanches à ton Mouret... Voyons, vous autres! n'ayez doncpas <strong>des</strong> figures d'enterrement!Il ne put les égayer, lui-même retombait dans une consternation blême ; et tousrestaient les yeux sur le monstre, attirés, possédés, se rassasiant de leur malheur. Lestravaux s'achevaient, on avait débarrassé la façade <strong>des</strong> échafaudages, tout un pan ducolossal édifice apparaissait, avec ses murs blancs, troués de larges vitrines claires.Justement, le long du trottoir, rendu enfin à la circulation, s'alignaient huit voitures,que <strong>des</strong> garçons chargeaient l'une après l'autre, devant le bureau du départ. Sous lesoleil, dont un rayon enfilait la rue, les panneaux verts, aux rechampis jaunes etrouges, miroitaient <strong>com</strong>me <strong>des</strong> glaces, envoyaient <strong>des</strong> reflets aveuglants jusqu'aufond du Vieil Elbeuf. Les cochers vêtus de noir, d'une allure correcte, tenaient court leschevaux, <strong>des</strong> attelages superbes, qui secouaient leurs mors argentés. Et chaque foisqu'une voiture était pleine, il y avait, sur le pavé, un roulement sonore, donttremblaient les petites boutiques voisines.Alors, devant ce défilé triomphal qu'ils devaient subir deux fois chaque jour, le coeur<strong>des</strong> Baudu se fendit. Le père défaillait, en se demandant où pouvait aller ce continuelflot de marchandises ; tandis que la mère, malade du tourment de sa fille, continuait àregarder sans voir, les yeux noyés de grosses larmes.126

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