12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

qui découpaient leur dentelle dans le bleu de l'air ; tandis que la cheminée <strong>des</strong>cuisines faisait une grosse fumée de fabrique, et que le grand réservoir carré, tenu enplein ciel sur <strong>des</strong> piliers de fonte, prenait un étrange profil de construction barbare,haussée à cette place par l'orgueil d'un homme.<strong>Au</strong> loin, Paris grondait.Lorsque Denise revint de ces espaces, de ce développement du <strong>Bonheur</strong> à ses penséesflottaient <strong>com</strong>me dans une solitude, elle vit que Deloche s'était emparé de sa main. Etil avait le visage si bouleversé, qu'elle ne la retira pas.- Pardonnez-moi, murmurait-il. C'est fini maintenant, je serais trop malheureux, sivous me punissiez en reprenant votre amitié... Je vous jure que je voulais vous direautre chose. Oui, je m'étais promis de <strong>com</strong>prendre la situation, d'être bien sage...Ses larmes coulaient de nouveau, il tâchait d'affermir sa voix.- Car, enfin, je connais mon lot, dans l'existence. Ce n'est pas maintenant que lachance peut tourner. Battu là-bas, battu à Paris, battu partout. Voici quatre ans que jesuis ici, et je reste le dernier du rayon... alors, je voulais vous dire de ne pas avoir dela peine à cause de moi. Je ne vous ennuierai plus.Tâchez d'être heureuse, aimez-en un autre ; oui, ça me fera plaisir. Si vous êtesheureuse, je serai heureux... Ce sera mon bonheur.Il ne put continuer. Comme pour sceller sa promesse, il avait posé les lèvres sur lamain de la jeune fille, qu'il baisait d'un humble baiser d'esclave. Elle était trèstouchée, elle dit simplement, avec une. fraternité attendrie, qui atténuait la pitié <strong>des</strong>mots:- Mon pauvre garçon !Mais ils tressaillirent, ils se tournèrent. Mouret était devant eux.Depuis dix minutes, Jouve cherchait le directeur dans les magasins. Celui-ci setrouvait sur les chantiers de la nouvelle façade, rue du Dix-Décembre. Tous les jours,il y passait de longues heures, il tentait de s'intéresser à ces travaux, dont il avait silongtemps rêvé. C'était son refuge contre ses tourments, au milieu <strong>des</strong> maçonsétablissant les piles d'angle en pierre de taille, et <strong>des</strong> serruriers posant les fers <strong>des</strong>gran<strong>des</strong> charpentes.Déjà, la façade, sortie du sol ,indiquait le vaste porche, les baies du premier étage, undéveloppement de palais à l'état d'ébauche. Il montait aux échelles, discutait avecl'architecte l'ornementation qui devait être tout à fait neuve, enjambait les fers et lesbriques, <strong>des</strong>cendait jusque dans les caves; et le ronflement de la machine à vapeur, letic-tac <strong>des</strong> treuils, le tapage <strong>des</strong> marteaux, la clameur de ce peuple d'ouvriers, autravers de cette grande cage entourée de planches sonores, arrivaient à l'étourdir uninstant. Il en sortait blanc de plâtre, noir de limaille, les pieds éclaboussés par lesrobinets <strong>des</strong> prises d'eau, si peu guéri de son mal, que l'angoisse revenait et battaitson coeur à coups plus retentissants, à mesure que le vacarme du chantier s'éteignaitderrière lui. Précisément, ce jour-là, une distraction lui avait rendu sa gaieté, il sepassionnait en regardant sur un album les <strong>des</strong>sins <strong>des</strong> mosaïques et <strong>des</strong> terres cuitesémaillées, qui devaient décorer les frises, lorsque Jouve était venu le chercheressoufflé, très ennuyé de salir sa redingote parmi ces matériaux. D'abord, il avait criéqu'on pouvait bien l'attendre ; puis, sur un mot de l'inspecteur dit à voix basse, ill'avait suivi, frissonnant, repris tout entier.Plus rien n'existait, la façade croulait avant d'être debout: à quoi bon ce triomphesuprême de son orgueil, si le nom seul d'une femme, murmuré tout bas, le torturait àce point!En haut, Bourdoncle et Jouve crurent prudent de disparaître.Deloche s'était enfui. Seule Denise restait en face de Mouret, plus blanche qued'habitude, mais le regard franchement levé sur lui.- Mademoiselle, veuillez me suivre, dit-il d'une voix dure.188

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!