- Ah ! enfin ! murmura Bouthemont soulagé.Mais une cloche sonnait, c'était la deuxième table, dont Favier faisait partie. Il<strong>des</strong>cendit de l'escabeau, un autre vendeur prit sa place ; et il lui fallut enjamber lahoule <strong>des</strong> pièces d'étoffe, qui avait encore monté sur les parquets. Maintenant, danstous les rayons, <strong>des</strong> écroulements pareils en<strong>com</strong>braient le sol ; les casiers, les cartons,les armoires se vidaient peu à peu, tandis que les marchandises débordaient de toutesparts, sous les pieds, entre les tables, dans une crue continuelle. <strong>Au</strong> blanc, onentendait les chutes lour<strong>des</strong> <strong>des</strong> piles de calicot ; à la mercerie, c'était un légercliquetis de boîtes ; et <strong>des</strong> roulements lointains venaient du <strong>com</strong>ptoir <strong>des</strong> meubles.Toutes les voix donnaient ensemble, <strong>des</strong> voix aiguës, <strong>des</strong> voix grasses, les chiffressifflaient dans l'air, une clameur grésillante battait l'immense nef, la clameur <strong>des</strong>forêts, en janvier, lorsque le vent souffle dans les branches.Favier se dégagea enfin et prit l'escalier <strong>des</strong> réfectoires.Depuis les agrandissements du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, ces derniers se trouvaient auquatrième étage, dans les bâtiments neufs.Comme il se hâtait, il rattrapa Deloche et Liénard, montés avant lui ; alors, il serabattit sur Mignot, qui le suivait.- Diable! dit-il dans le corridor de la cuisine, devant le tableau noir où le menu étaitinscrit, on voit bien que c'est l'inventaire. Fête <strong>com</strong>plète ! Poulet ou émincé de gigot,et artichauts à l'huile !... Leur gigot va remporter une jolie veste!Mignot ricanait, en murmurant :- Il y a donc une maladie sur la volaille ?Cependant, Deloche et Liénard avaient pris leurs portions, puis s'en étaient allés.Alors, Favier, penché au guichet, dit à voix haute :- Poulet.Mais il dut attendre, un <strong>des</strong> garçons qui découpaient venait de s'entailler le doigt, etcela jetait un trouble. Il restait la face à l'ouverture, regardant la cuisine, d'uneinstallation géante, avec son fourneau central, sur lequel deux rails fixés au plafondamenaient par un système de poulies et de chaînes, les colossales marmites quequatre hommes n'auraient pu soulever. Des cuisiniers, tout blancs dans le rougesombre de la fonte, surveillaient le pot-au-feu du soir, montés sur <strong>des</strong> échelles de fer,armés d'écumoires, au bout de grands bâtons. Puis, c'étaient, contre le mur, <strong>des</strong> grilsà faire griller <strong>des</strong> martyrs, <strong>des</strong> casseroles à fricasser un mouton, un chauffe-assiettesmonumental, une vasque de marbre emplie par un continuel filet d'eau. Et l'onapercevait encore, à gauche, une laverie, <strong>des</strong> éviers de pierre larges <strong>com</strong>me <strong>des</strong>piscines ; tandis que, de l'autre côté, à droite, se trouvait un garde-manger, où l'onentrevoyait <strong>des</strong> vian<strong>des</strong> rouges, à <strong>des</strong> crocs d'acier. Une machine à pelurer lespommes de terre fonctionnait avec un tic-tac de moulin. Deux petites voitures, pleinesde sala<strong>des</strong> épluchées, passaient, traînées par <strong>des</strong> ai<strong>des</strong>, qui allaient les remiser aufrais, sous une fontaine.- Poulet, répéta Favier, pris d'impatience.Puis, se retournant, il ajouta plus bas :- Il y en a un qui s'est coupé... C'est dégoûtant, ça coule dans la nourriture.Mignot voulut voir. Toute une queue de <strong>com</strong>mis grossissait, il y avait <strong>des</strong> rires, <strong>des</strong>poussées. Et, maintenant, les deux jeunes gens, la tête au guichet, se<strong>com</strong>muniquaient leurs réflexions, devant cette cuisine de phalanstère, où les moindresustensiles, jusqu'aux broches et aux lardoires, devenaient gigantesques. Il y fallaitservir deux mille déjeuners et deux mille dîners, sans <strong>com</strong>pter que le nombre <strong>des</strong>employés augmentait de semaine en semaine. C'était un gouffre, on y engloutissait enun jour seize hectolitres de pommes de terre, cent vingt livres de beurre, six centskilogrammes de viande ; et, à chaque repas, on devait mettre trois tonneaux enperce, près de sept cents litres coulaient sur le <strong>com</strong>ptoir de la buvette.- Ah! enfin! murmura Favier, lorsque le cuisinier de service reparut avec une bassine,où il piqua une cuisse pour la lui donner.156
- Poulet, dit Mignot derrière lui. Et tous deux, tenant leurs assiettes, entrèrent dans leréfectoire, après avoir pris leur part de vin à la buvette; pendant que, derrière leurdos, le mot " poulet" tombait sans relâche, régulièrement, et qu'on entendait lafourchette du cuisinier piquer les morceaux, avec un petit bruit rapide et cadencé.Maintenant, le réfectoire <strong>des</strong> <strong>com</strong>mis était une immense salle où les cinq centscouverts de chacune <strong>des</strong> trois séries tenaient à l'aise. Ces couverts se trouvaientalignés sur de longues tables d'acajou, placées parallèlement, dans le sens de lalargeur; aux deux bouts de la salle, <strong>des</strong> tables pareilles étaient réservées auxinspecteurs et aux chefs de rayon; et il y avait, dans le milieu, un <strong>com</strong>ptoir pour lessuppléments. De gran<strong>des</strong> fenêtres, à droite et à gauche, éclairaient d'une clartéblanche cette galerie, dont le plafond, malgré ses quatre mètres de hauteur, semblaitbas, écrasé par le développement démesuré <strong>des</strong> autres dimensions. Sur les murs,peints à l'huile d'une teinte jaune clair,les casiers aux serviettes étaient les seulsornements. A la suite de ce premier réfectoire, venait celui <strong>des</strong> garçons de magasin et<strong>des</strong> cochers, où les repas étaient servis sans régularité, au fur et à mesure <strong>des</strong>besoins du service.- Comment! vous aussi, Mignot, vous avez une cuisse, dit Favier, lorsqu'il se fut assisà une <strong>des</strong> tables, en face de son <strong>com</strong>pagnon.D'autres <strong>com</strong>mis s'installaient autour d'eux. Il n'y avait pas de nappe, les assiettesrendaient un bruit fêlé sur l'acajou ; et tous s'exclamaient, dans ce coin, car le nombre<strong>des</strong> cuisses était vraiment prodigieux.- Encore <strong>des</strong> volailles qui n'ont que <strong>des</strong> pattes! fit remarquer Mignot.Ceux qui avaient <strong>des</strong> morceaux de carcasse se fâchaient.Pourtant, la nourriture s'était beaucoup améliorée, depuis les aménagementsnouveaux. Mouret ne traitait plus avec un entrepreneur pour une somme fixe; ildirigeait aussi la cuisine, il en avait fait un service organisé <strong>com</strong>me un de ses rayons,ayant un chef, <strong>des</strong> sous-chefs, un inspecteur; et, s'il déboursait davantage, il obtenaitplus de travail d'un personnel mieux nourri, calcul d'une humanitairerie pratique quiavait longtemps consterné Bourdonde.- Allons,l a mienne est tendre tout de même, reprit Mignot.Passez donc le pain !Le gros pain faisait le tour, et lorsqu'il se fut coupé une tranche le dernier, il replantale couteau dans la croûte. Des retardataires accouraient à la file, un appétit féroce,doublé par la besogne du matin, soufflait sur les longues tables, d'un bout à l'autre duréfectoire. C'étaient un cliquetis grandissant de fourchettes, <strong>des</strong> glouglous debouteilles qu'on vidait, <strong>des</strong> chocs de verres reposés trop vivement, le bruit de meulede cinq cents mâchoires soli<strong>des</strong> broyant avec énergie. Et les paroles, rares encore,s'étouffaient dans les bouches pleines.Deloche, cependant, assis entre Baugé et Liénard, se trouvait presque en face deFavier, à quelques places de distance.Tous deux s'étaient lancé un regard de rancune. Des voisins chuchotaient, au courantde leur querelle de la veille. Puis, on avait ri de la malchance de Deloche, toujoursaffamé, et tombant toujours, par une sorte de <strong>des</strong>tinée maudite, sur le plus mauvaismorceau de la table. Cette fois, il venait d'apporter un cou de poulet et un débris decarcasse. Silencieux, il laissait plaisanter, il avalait de grosses bouchées de pain, enépluchant le cou avec l'art infini d'un garçon qui avait le respect de la viande.- Pourquoi ne réclamez-vous pas ? lui dit Baugé.Mais il haussa les épaules. À quoi bon ? ça ne tournait jamais bien. Quand il ne serésignait pas, les choses allaient plus mal.- Vous savez que les bobinards ont leur club, maintenant, raconta tout d'un coupMignot. Parfaitement, le Bobin-Club...Ça se passe chez un marchand de vin de la rue Saint-Honoré, qui leur loue une salle,le samedi.157
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pair, il couchait au magasin, où i
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coup de hache. Tout lui devenait pr
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père tuerait sans cela. Alors, com
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Mais ce qui parut toucher ces messi
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argent. - Vous savez que ces messie
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Jean recommençait :- Le mari qui a
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commissionnaire ; mais chez qui la
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l'argent, des robes, une belle cham
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Il brandissait son outil, ses cheve
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