- Ma chère enfant, reprit-elle avec un sourire qui s'attristait, nous n'avons rien à vouscacher... Ça ne va pas bien, mon pauvre chéri n'en dort plus. <strong>Au</strong>jourd'hui encore, ceGaujean l'a tourmenté, à propos de billets en retard... Je me sentais mourird'inquiétude, à être là toute seule...Et elle retournait sur la porte, lorsque Denise l'arrêta. <strong>Au</strong> loin, celle-ci venaitd'entendre une rumeur de foule. Elle devina le brancard qu'on apportait, le flot decurieux qui n'avaient pas lâché l'accident. Alors, la gorge sèche, ne trouvant pas lesmots consolateurs qu'elle aurait voulu, elle dut parler.- Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas de danger immédiat...Oui, j'ai vu M. Robineau, il lui est arrivé un malheur... On l'apporte, ne vous inquiétezpas, je vous en prie.La jeune femme l'écoutait, toute blanche, sans <strong>com</strong>prendre nettement encore. La rues'était emplie de monde, les fiacres arrêtés juraient, <strong>des</strong> hommes avaient posé lebrancard devant la porte du magasin, pour ouvrir les deux battants vitrés.- C'est un accident, continuait Denise, résolue à cacher la tentative de suicide. Il étaitsur le trottoir, et il a glissé sous les roues d'un omnibus... Oh ! les pieds seulement.On cherche un médecin. Ne vous inquiétez pas.Un grand frisson secouait Mme Robineau. Elle eut deux ou trois cris inarticulés ; puis,elle ne parla plus, elle s'abattit près du brancard, dont elle écarta les toiles de sesmains tremblantes.Les hommes qui venaient de le porter, attendaient devant la maison, pour leremporter, lorsqu'on aurait enfin trouvé un médecin. On n'osait plus toucher àRobineau, qui avait repris connaissance, et dont les souffrances devenaient atroces, aumoindre mouvement. Quand il vit sa femme, deux grosses larmes coulèrent sur sesjoues. Elle l'avait embrassé, et elle pleurait, en le regardant de ses yeux fixes. Dans larue, la cohue continuait, les visages s'entassaient <strong>com</strong>me au spectacle, avec <strong>des</strong> yeuxluisants ; <strong>des</strong> ouvrières, échappées d'un atelier, menaçaient d'enfoncer les glaces <strong>des</strong>vitrines, pour mieux voir.Afin d'échapper à cette fièvre de curiosité, et jugeant d'ailleurs qu'il n'était pasconvenable de laisser le magasin ouvert, Denise eut l'idée de baisser le rideaumétallique. Elle-même alla tourner la manivelle, l'engrenage avait un cri plaintif, lesfeuilles de tôle <strong>des</strong>cendaient avec lenteur, ainsi qu'une draperie lourde tombant sur ledénouement d'un cinquième acte. Et, lorsqu'elle rentra et qu'elle eut fermé derrièreelle la petite porte ronde, elle retrouva Mme Robineau serrant toujours son mari entreses bras éperdus, sous le demi-jour louche qui venait <strong>des</strong> deux étoiles découpées dansla tôle. La boutique ruinée semblait glisser au néant, seules les deux étoiles luisaientsur cette catastrophe rapide et brutale du pavé parisien: Enfin, Mme Robineaurecouvra la parole.- Oh ! mon chéri... Oh ! mon chéri... Oh ! mon chéri...Elle ne trouvait que ces mots, et lui suffoqua, se confessa dans une crise de remords,en la voyant ainsi agenouillée, renversée, avec son ventre de mère qui s'écrasaitcontre le brancard. Lorsqu'il ne bougeait pas, il ne sentait que le plomb brûlant de sesjambes.- Pardonne-moi, j'ai dû être fou... Quand l'avoué m'a dit devant Gaujean que lesaffiches seraient posées demain, il m'a semblé que <strong>des</strong> flammes dansaient, <strong>com</strong>me siles murs avaient brûlé... Et puis, je ne me souviens plus : je <strong>des</strong>cendais la rue de laMichodière, j'ai cru que les gens du <strong>Bonheur</strong> se fichaient de moi, cette grande gueusede maison m'écrasait... Alors, quand l'omnibus a tourné, j'ai songé à Lhomme et à sonbras, je me suis jeté <strong>des</strong>sous...Lentement, Mme Robineau tomba assise sur le parquet, dans l'horreur de ces aveux.Mon Dieu! il avait voulu mourir. Elle saisit la main de Denise, qui s'était penchée verselle, toute retournée par cette scène. Le blessé, que son émotion épuisait, venaitencore de perdre connaissance. Et ce médecin qui n'arrivait pas! Deux hommes206
avaient déjà battu le quartier, le concierge de la maison s'était mis en campagne à sontour.- Ne vous inquiétez pas, répétait Denise machinalement, sanglotant elle aussi.Alors, Mme Robineau, assise par terre, la tête à la hauteur du brancard, la joue contrela sangle où gisait son mari, soulagea son coeur.- Oh ! si je vous racontais... C'est pour moi qu'il a voulu mourir. Il me disait sanscesse : " Je t'ai volée, l'argent venait de toi. " Et, la nuit, il rêvait de ces soixante millefrancs, il se réveillait en sueur, se traitait d'incapable. Quand on n'avait pas plus detête, on ne risquait pas la fortune <strong>des</strong> autres. Vous savez qu'il a toujours été nerveux,l'esprit tourmenté. Il finissait par voir <strong>des</strong> choses qui me faisaient peur, il m'apercevaitdans la rue, en guenilles, mendiant, moi qu'il aimait si fort, qu'il désirait riche,heureuse...Mais, en tournant la tête, elle le retrouva les yeux ouverts ; et elle continua, de savoix bégayante :- Oh! mon chéri, pourquoi as-tu fait cela ?... Tu me crois donc bien vilaine ? Va, çam'est égal, que nous soyons ruinés.Pourvu qu'on soit ensemble, on n'est pas malheureux... Laisse-les donc tout prendre.Allons-nous-en quelque part, où tu n'entendras plus parler d'eux. Tu travailleras quandmême, tu verras <strong>com</strong>me ce sera bon encore.Son front était tombé près du visage pâle de son mari, tous deux se taisaientmaintenant, dans l'attendrissement de leur angoisse. Il y eut un silence, la boutiquesemblait dormir, engourdie par le crépuscule blafard qui la noyait ; tandis qu'onentendait, derrière la tôle mince de la fermeture le fracas de la rue, la vie du plein jourpassant avec le grondement <strong>des</strong> voitures et la bousculade <strong>des</strong> trottoirs. Enfin, Denise,qui allait, à chaque minute, jeter un coup d'oeil par la petite porte ouvrant sur levestibule de la maison, revint en criant :- Le médecin ! C'était un jeune homme, aux yeux vifs, que le concierge ramenait. Ilpréféra visiter le blessé avant qu'on le couchât. Une seule <strong>des</strong> jambes, la gauche, setrouvait cassée, au-<strong>des</strong>sus de la cheville. La rupture était simple, aucune <strong>com</strong>plicationne semblait à craindre. Et l'on se disposait à porter le brancard au fond, dans lachambre, lorsque Gaujean se présenta. Il venait rendre <strong>com</strong>pte d'une dernièredémarche, dans laquelle du reste il avait échoué : la déclaration de faillite étaitdéfinitive.- Quoi donc ? murmura-t-il, qu'est-il arrivé ?D'un mot, Denise le renseigna. Alors, il resta gêné. Robineau lui dit faiblement :- Je ne vous en veux pas, mais tout cela est un peu de votre faute.- Dame ! mon cher, répondit Gaujean, il fallait avoir <strong>des</strong> reins plus soli<strong>des</strong> que lesnôtres... Vous savez que je ne suis guère mieux portant que vous.On soulevait le brancard. Le blessé trouva encore la force de dire :- Non, non, <strong>des</strong> reins plus soli<strong>des</strong> auraient plié tout de même... Je <strong>com</strong>prends que lesvieux entêtés, <strong>com</strong>me Bourras et Baudu, y restent ; mais nous autres, qui étionsjeunes, qui acceptions le nouveau train <strong>des</strong> choses !... Non, voyez-vous, Gaujean,c'est la fin d'un monde.On l'emporta. Mme Robineau embrassa Denise, dans un élan où il y avait presque dela joie, à être enfin débarrassée du tracas <strong>des</strong> affaires. Et, <strong>com</strong>me Gaujean se retiraitavec la jeune fille, il lui confessa que ce pauvre diable de Robineau avait raison. C'étaitimbécile de vouloir lutter contre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. Lui, personnellement, sesentait perdu, s'il ne rentrait pas en grâce. Déjà, la veille, il avait fait une démarchesecrète auprès de Hutin, qui justement allait partir pour Lyon.Mais il désespérait, et il tâcha d'intéresser Denise, au courant sans doute de sapuissance.- Ma foi ! répétait-il, tans pis pour la fabrication ! On se moquerait de moi, si je meruinais en bataillant davantage dans l'intérêt <strong>des</strong> autres, lorsque les gaillards sedisputent à qui fabriquera le moins cher... Mon Dieu ! <strong>com</strong>me vous le disiez autrefois,207
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pair, il couchait au magasin, où i
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père tuerait sans cela. Alors, com
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Mais ce qui parut toucher ces messi
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Jean recommençait :- Le mari qui a
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commissionnaire ; mais chez qui la
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Il brandissait son outil, ses cheve
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out d'un mois, Denise faisait parti
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