12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

- Je ne vous fais pas de mal, madame ?Elle répondit non, d'un signe de tête. L'odeur <strong>des</strong> gants de Saxe, cette odeur de fauve<strong>com</strong>me sucrée du musc, la troublait d'habitude ; et elle en riait parfois, elle confessaitson goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée dans la boîteà poudre de riz d'une râle. Mais, devant ce <strong>com</strong>ptoir banal, elle ne sentait pas lesgants, ils ne mettaient aucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconquefaisant son métier.- Et avec ça, madame ? .- Rien, merci... Veuillez porter ça à la caisse 10, pour Mme Desforges, n'est-ce pas ?En habituée de la maison, elle donnait son nom à une caisse et y envoyait chacune <strong>des</strong>es emplettes, sans se faire suivre par un <strong>com</strong>mis. Quand elle se fut éloignée, Mignotcligna les yeux, en se tournant vers son voisin, auquel il aurait bien voulu laisser croireque <strong>des</strong> choses extraordinaires venaient de se passer.- Hein ? murmura-t-il crûment, on la ganterait jusqu'au bout!Cependant, Mme Desforges continuait ses achats. Elle revint à gauche, s'arrêta aublanc, pour prendre <strong>des</strong> torchons; puis, elle fit le tour, poussa jusqu'aux lainages, aufond de la galerie.Comme elle était contente de sa cuisinière, elle désirait lui donner une robe. Le rayon<strong>des</strong> lainages débordait d'une foule <strong>com</strong>pacte, toutes les petites-bourgeoises s'yportaient, tâtaient les étoffes, s'absorbaient en muets calculs; et elle dut s'asseoir uninstant. Dans les cases s'étageaient de grosses pièces, que les vendeurs <strong>des</strong>cendaient,une à une, d'un brusque effort <strong>des</strong> bras. <strong>Au</strong>ssi, <strong>com</strong>mençaient-ils à ne plus sereconnaître sur les <strong>com</strong>ptoirs envahis, où les tissus se mêlaient et s'écroulaient.C'était une mer montante de teintes neutres, de tons sourds de laine, les gris fer, lesgris jaunes, les gris bleus, où éclataient çà et là <strong>des</strong> bariolures écossaises, un fondrouge sang de flanelle. Et les étiquettes blanches <strong>des</strong> pièces étaient <strong>com</strong>me une voléede rares flocons blancs, mouchetant un sol noir de décembre.Derrière une pile de popeline, Liénard plaisantait avec une grande fille en cheveux,une ouvrière du quartier, envoyée par sa patronne pour réassortir du mérinos. Ilabominait ces jours de grosse vente, qui lui cassaient les bras, et il tâchait d'esquiverla besogne, largement entretenu par son père, se moquant de vendre, en faisait toutjuste assez pour ne pas être mis à la porte.- Écoutez donc, mademoiselle Fanny, disait-il. Vous êtes toujours pressée... Est-ceque la vigogne croisée allait bien, l'autre jour ? Vous savez que j'irai toucher ma gueltechez vous.Mais l'ouvrière s'échappait en riant, et Liénard se trouva devant Mme Desforges, àlaquelle il ne put s'empêcher de demander:- Que désire madame ?Elle voulait une robe pas chère, solide pourtant. Liénard, dans le but d'épargner sesbras, ce qui était son unique souci, manoeuvra pour lui faire prendre une <strong>des</strong> étoffesdéjà dépliées sur le <strong>com</strong>ptoir. Il y avait là <strong>des</strong> cachemires, <strong>des</strong> serges, <strong>des</strong> vigognes,et il lui jurait qu'il n'existait rien de meilleur, on n'en voyait pas la fin. Mais aucun nesemblait la satisfaire. Elle avait avisé, dans une case, un escot bleuâtre. Alors, il finitpar se décider, il <strong>des</strong>cendit l'escot, qu'elle jugea trop rude. Ensuite, ce furent unecheviotte, <strong>des</strong> diagonales, <strong>des</strong> grisailles, toutes les variétés de la laine, qu'elle eut lacuriosité de toucher, pour le plaisir, décidée au fond à prendre n'importe quoi. Lejeune homme dut ainsi déménager les cases les plus hautes; ses épaules craquaient,le <strong>com</strong>ptoir avait disparu sous le grain soyeux <strong>des</strong> cachemires et <strong>des</strong> popelines, sousle poil rêche <strong>des</strong> cheviottes, sous le duvet pelucheux <strong>des</strong> vigognes. Tous les tissus ettoutes les teintes y passaient. Même, sans avoir la moindre envie d'en acheter, elle sefit montrer de la grenadine et de la gaze de Chambéry. Puis, quand elle en eut assez :- Oh ! mon Dieu ! la première est encore la meilleure. C'est pour ma cuisinière... Oui,la serge à petit pointillé, celle à deux francs.Et lorsque Liénard eut métré, pâle d'une colère contenue :55

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!