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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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nouvelle cliente se présenta, intervint-il d'un air sévère, en arrêtant le jeune hommequi se précipitait.- Votre tour est passé... Je vous ai appelé, et <strong>com</strong>me vous étiez là derrière...- Mais, monsieur, je n'ai pas entendu.- Assez!... Inscrivez-vous à la queue... Allons, monsieur Favier, c'est à vous.D'un regard, Favier, très amusé au fond de l'aventure, s'excusa auprès de son ami.Hutin, les lèvres pâles, avait détourné la tête. Ce qui l'enrageait, c'était qu'ilconnaissait bien la cliente, une adorable blonde qui venait souvent au rayon et que lesvendeurs appelaient entre eux : "la jolie dame", ne sachant rien d'elle, pas même sonnom. Elle achetait beaucoup, faisait porter dans sa voiture, puis disparaissait. Grande,élégante, mise avec un charme exquis, elle paraissait fort riche et du meilleur monde.- Eh bien! et votre cocotte? demanda Hutin à Favier, lorsque celui-ci revint à la caisse,où il avait ac<strong>com</strong>pagné la dame.- Oh! une cocotte, répondit celui-ci. Non, elle a l'air trop <strong>com</strong>me il faut. Ça doit être lafemme d'un boursier ou d'un médecin, enfin je ne sais pas, quelque chose dans cegenre.- Laissez donc! c'est une cocotte... Avec leurs airs de femmes distinguées, est-cequ'on peut dire aujourd'hui !Favier regardait son cahier de notes de débit.- N'importe ! reprit-il, je lui en ai collé pour deux cent quatre-vingt-treize francs. Çame fait près de trois francs.Hutin pinça les lèvres, et il soulagea sa rancune sur les cahiers de notes de débit:encore une drôle d'invention qui leur en<strong>com</strong>brait les poches ! Il y avait entre eux unelutte sourde.Favier, d'habitude, affectait de s'effacer, de reconnaître la supériorité de Hutin, quitteà le manger par-derrière. <strong>Au</strong>ssi ce dernier souffrait-il <strong>des</strong> trois francs emportés d'unefaçon si aisée, par un vendeur qu'il ne reconnaissait pas de sa force. Une bellejournée, vraiment ! Si ça continuait, il ne gagnerait pas de quoi payer de l'eau de seltzà ses invités. Et, dans la bataille qui s'échauffait, il se promenait devant les <strong>com</strong>ptoirs,les dents longues, voulant sa part, jalousant jusqu'à son chef, en train de reconduirela jeune femme maigre, à laquelle il répétait :- Eh bien ! c'est entendu. Dites-lui que je ferai mon possible pour obtenir cette faveurde M. Mouret.Depuis longtemps, Mouret n'était plus à l'entresol, debout près de la rampe du hall.Brusquement, il reparut en haut du grand escalier qui <strong>des</strong>cendait au rez-de-chaussée ;et, de là, il domina encore la maison entière. Son visage se colorait, la foi renaissait etle grandissait, devant le flot de monde qui, peu à peu, emplissait le magasin. C'étaitenfin la poussée attendue, l'écrasement de l'après-midi, dont il avait un instantdésespéré, dans sa fièvre ; tous les <strong>com</strong>mis se trouvaient à leur poste, un derniercoup de cloche venait de sonner la fin de la troisième table ; la désastreuse matinée,due sans doute à une averse tombée vers neuf heures, pouvait encore être réparée,car le ciel bleu du matin avait repris sa gaieté de victoire. Maintenant, les rayons del'entresol s'animaient, il dut se ranger pour laisser passer les dames qui, par petitsgroupes, montaient à la lingerie et aux confections ; tandis que, derrière lui, auxdentelles et aux châles, il entendait voler de gros chiffres. Mais la vue <strong>des</strong> galeries, aurez-de-chaussée, le rassurait surtout : on s'écrasait devant la mercerie, le blanc et leslainages eux-mêmes étaient envahis, le défilé <strong>des</strong> acheteuses se serrait, presquetoutes en chapeau à présent, avec quelques bonnets de ménagères attardées. Dans lehall <strong>des</strong> soieries, sous la blonde lumière, <strong>des</strong> dames s'étaient dégantées, pour palperdoucement <strong>des</strong> pièces de Paris-<strong>Bonheur</strong>, en causant à demi-voix. Et il ne se trompaitplus aux bruits qui lui arrivaient du dehors, roulements de fiacres, claquement deportières, brouhaha grandissant de foule. Il sentait, à ses pieds, la machine se mettreen branle, s'échauffer et revivre, depuis les caisses où l'or sonnait, depuis les tablesoù les garçons de magasin se hâtaient d'empaqueter les marchandises, jusqu'aux53

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