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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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<strong>com</strong>missionnaire ; mais chez qui la faire porter, et pourquoi toute cette peine,lorsqu'une heure plus tôt elle avait encore un lit où coucher le soir ?Alors, les yeux levés sur les maisons, elle se mit à examiner les fenêtres. Desécriteaux défilaient. Elle les voyait confusément, sans cesse reprise par le branleintérieur qui l'agitait tout entière. Était-ce possible ? seule d'une minute à l'autre,perdue dans cette grande ville inconnue, sans appui, sans ressources ! Il fallaitmanger et dormir cependant. Les rues se succédaient, la rue <strong>des</strong> Moulins, la rueSainte-Anne. Elle battait le quartier, tournant sur elle-même, ramenée toujours auseul carrefour qu'elle connaissait bien. Brusquement, elle demeura stupéfaite, elleétait de nouveau devant le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> ; et, pour échapper à cette obsession,elle se jeta dans la rue de la Michodière.Heureusement, Baudu n'était pas sur sa porte, le Vieil Elbeuf semblait mort, derrièreses vitrines noires. Jamais elle n'aurait osé se présenter chez son oncle, car il affectaitde ne plus la reconnaître, et elle ne voulait point tomber à sa charge, dans le malheurqu'il avait prédit. Mais de l'autre côté de la rue, un écriteau jaune l'arrêta : Chambregarnie à louer. C'était le premier qui ne lui faisait pas peur, tellement la maisonparaissait pauvre. Puis, elle la reconnut, avec ses deux étages bas, sa façade couleurde rouille, étranglée entre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> et l'ancien hôtel Duvillard. <strong>Au</strong> seuilde la boutique de parapluies, le vieux Bourras, chevelu et barbu <strong>com</strong>me un prophète,<strong>des</strong> bésicles sur le nez, étudiait l'ivoire d'une pomme de canne.Locataire de toute la maison, il sous-louait en garni les deux étages, pour diminuerson loyer.- Vous avez une chambre, monsieur? demanda Denise, obéissant à une pousséeinstinctive.Il leva ses gros yeux embroussaillés, resta surpris de la voir.Toutes ces demoiselles lui étaient connues. Et il répondit, après avoir regardé sa petiterobe propre, sa tournure honnête :- Ça ne fait pas pour vous.- Combien donc ? répondit Denise.- Quinze francs par mois.Alors, elle voulut visiter. Dans l'étroite boutique, <strong>com</strong>me il la dévisageait toujours <strong>des</strong>on air étonné, elle dit son départ du magasin et son désir de ne pas gêner son oncle.Le vieillard finit par aller chercher une clef sur une planche de l'arrière-boutique, unepièce obscure, où il faisait sa cuisine et où il couchait ; au-delà, derrière un vitragepoussiéreux, on apercevait le jour verdâtre d'une cour intérieure, large de deuxmètres à peine.- Je passe devant, pour que vous ne tombiez pas, dit Bourras dans l'allée humide quilongeait la boutique.Il buta contre une marche, il monta, en multipliant les avertissements. Attention ! larampe était contre la muraille, il y avait un trou au tournant, parfois les locataireslaissaient leurs boîtes à ordures. Denise, dans une obscurité <strong>com</strong>plète, ne distinguaitrien, sentait seulement la fraîcheur <strong>des</strong> vieux plâtres mouillés. <strong>Au</strong> premier étagepourtant, un carreau donnant sur la cour lui permit de voir vaguement, <strong>com</strong>me aufond d'une eau dormante, l'escalier déjeté, les murailles noires de crasse, les portescraquées et dépeintes.- Si encore l'une de ces deux chambres était libre ! reprit Bourras. Vous y seriezbien... Mais elles sont toujours occupées par <strong>des</strong> dames.<strong>Au</strong> deuxième étage, le jour grandissait, éclairant d'une pâleur crue la détresse dulogis. Un garçon boulanger occupait la première chambre ; et c'était l'autre, celle dufond, qui se trouvait vacante. Quand Bourras l'eut ouverte, il dut rester sur le palier,pour que Denise pût la visiter à l'aise. Le lit, dans l'angle de la porte, laissait tout justele passage d'une personne. <strong>Au</strong> bout, il y avait une petite <strong>com</strong>mode de noyer, une tablede sapin noirci et deux chaises. Les locataires qui faisaient un peu de cuisines'agenouillaient devant la cheminée, où se trouvait un fourneau de terre.99

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