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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Ma chère, dit enfin Denise de son air raisonnable, je ne vous en veux point... Vousn'avez raconté que la vérité. J'ai reçu une lettre, c'est à moi d'y répondre.Deloche s'en alla navré, ayant <strong>com</strong>pris que la jeune fille acceptait la situation et qu'elleirait, le soir, au rendez-vous.Quand les deux vendeuses eurent déjeuné, dans une petite salle voisine de la grande,et où les femmes étaient servies plus confortablement, Pauline dut aider Denise à<strong>des</strong>cendre, car le pied de celle-ci se fatiguait.En bas, dans l'échauffement de l'après-midi, l'inventaire ronflait davantage. L'heureétait venue du coup de collier, lorsque, devant la besogne peu avancée du matin,toutes les forces se tendaient, pour avoir fini le soir. Les voix se haussaient encore, onne voyait que la gesticulation <strong>des</strong> bras, vidant toujours les cases, jetant lesmarchandises, et on ne pouvait plus marcher, la crue <strong>des</strong> piles et <strong>des</strong> ballots, sur lesparquets, montait à la hauteur <strong>des</strong> <strong>com</strong>ptoirs. Une houle de têtes, de poings brandis,de membres volants, semblait se perdre au fond <strong>des</strong> rayons, dans un lointain confusd'émeute. C'était la fièvre dernière du branle-bas, la machine près de sauter; tandisque, le long <strong>des</strong> glaces sans tain, autour du magasin fermé, continuaient à passer derares promeneurs, blêmes de l'ennui étouffant du dimanche. Sur le trottoir de la rueNeuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin ,trois gran<strong>des</strong> filles en cheveux, l'air souillon, s'étaient plantées,collant effrontément leurs visages aux glaces, tâchant de voir la drôle de cuisine qu'onbâclait là-dedans.Lorsque Denise rentra aux confections, Mme <strong>Au</strong>rélie laissa Marguerite achever l'appel<strong>des</strong> vêtements. Il restait à faire un travail de contrôle, pour lequel, désireuse <strong>des</strong>ilence, elle se retira dans la salle de l'échantillonnage, en emmenant la jeune fille.- Venez avec moi, nous collationnerons... Puis, vous additionnerez.Mais, <strong>com</strong>me elle voulut laisser la porte ouverte, afin de surveiller ces demoiselles, levacarme entrait, on ne s'entendait guère plus, au fond de cette salle. C'était une vastepièce carrée, garnie seulement de chaises et de trois longues tables. Dans un coin,étaient les grands couteaux mécaniques, pour couper les échantillons. Des piècesentières y passaient, on expédiait par an plus de soixante mille francs d'étoffes, ainsidéchiquetées en lanières. Du matin au soir, les couteaux hachaient la soie, la laine, latoile, avec un bruit de faux. Ensuite, il fallait assembler les cahiers, les coller ou lescoudre. Et il y avait encore, entre les deux fenêtres, une petite imprimerie, pour lesétiquettes.- Plus bas donc ! criait de temps à autre Mme <strong>Au</strong>rélie, qui n'entendait pas Denise lireles articles.Quand la collation <strong>des</strong> premières listes fut terminée, elle laissa la jeune fille devantune <strong>des</strong> tables, plongée dans les additions. Puis, elle reparut presque tout de suite,elle installa Mlle de Fontenailles, dont les trousseaux n'avaient plus besoin, et qu'ils luipassaient. Cette dernière additionnerait aussi, on gagnerait du temps. Mais l'apparitionde la marquise, <strong>com</strong>me la nommait Clara méchamment, avait remué le rayon.On riait, on plaisantait Joseph, <strong>des</strong> mots féroces arrivaient par la porte.- Ne vous reculez pas, vous ne me gênez aucunement, dit Denise saisie d'une grandepitié. Tenez! mon encrier suffira, vous prendrez de l'encre avec moi.Mlle de Fontenailles, dans l'hébétement de sa déchéance, ne trouva pas même un motde gratitude. Elle devait boire, sa maigreur avait <strong>des</strong> teintes plombées, et ses mainsseules, blanches et fines, disaient encore la distinction de sa race.Cependant, les rires tombèrent tout d'un coup, on entendit la besogne reprendre sonronflement régulier. C'était Mouret qui faisait de nouveau le tour <strong>des</strong> rayons. Mais ils'arrêta, il chercha Denise, surpris de ne pas la voir. D'un signe, il avait appelé Mme<strong>Au</strong>rélie ; et tous deux s'écartèrent, parlèrent bas un instant. Il devait l'interroger. Elledésigna <strong>des</strong> yeux la salle de l'échantillonnage, puis sembla rendre <strong>des</strong> <strong>com</strong>ptes.Sans doute elle rapportait que la jeune fille avait pleuré le matin.- Parfait ! dit tout haut Mouret, en se rapprochant. Montrez-moi les listes.- Par ici, monsieur, répondit la première. Nous nous sommes sauvées du tapage.160

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