12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

la reconnut, occupée à débarrasser une table d'un tas énorme de vêtements, il courutla chercher.- Tenez! mademoiselle, servez donc ces dames qui attendent.Vivement, il lui mit sur le bras les articles de Mme Marty, qu'il était las de promener.Son sourire revenait, et il y avait, dans ce sourire, la secrète méchanceté d'un vendeurd'expérience, se doutant de l'embarras où il allait jeter ces dames et la jeune fille.Celle-ci, cependant, demeurait tout émue devant cette vente inespérée qui seprésentait. Pour la seconde fois, il lui apparaissait <strong>com</strong>me un ami inconnu, fraternel ettendre, toujours prêt dans l'ombre à la sauver. Ses yeux brillèrent de gratitude, elle lesuivit d'un long regard, pendant qu'il jouait <strong>des</strong> cou<strong>des</strong>, afin de regagner son rayon auplus vite.- Je désirerais un manteau, dit Mme Marty.Alors, Denise la questionna. Quel genre de manteau ? Mais la cliente n'en savait rien,elle n'avait pas d'idée, elle voulait voir les modèles de la maison. Et la jeune fille, trèslasse déjà, étourdie par le monde, perdit la tête ; elle n'avait jamais servi qu'uneclientèle rare, chez Cornaille, à Valognes ; elle ignorait encore le nombre <strong>des</strong> modèles,et leur place, dans les armoires.<strong>Au</strong>ssi n'en finissait-elle plus de répondre aux deux amies qui s'impatientaient, lorsqueMme <strong>Au</strong>rélie aperçut Mme Desforges, dont elle devait connaître la liaison, car elle sehâta de venir demander :- On s'occupe de ces dames ?- Oui, cette demoiselle qui cherche là-bas, répondit Henriette.Mais elle n'a pas l'air très au courant, elle ne trouve rien.Du coup, la première acheva de paralyser Denise, en allant lui dire à demi-voix :- Vous voyez bien que vous ne savez pas. Tenez-vous tranquille, je vous prie.Et appelant :- Mademoiselle Vadon, un manteau !Elle resta, pendant que Marguerite montrait les modèles.Celle-ci prenait avec les clientes une voix sèchement polie, une attitude désagréablede fille vêtue de soie, frottée à toutes les élégances, dont elle gardait à son insumême, la jalousie et la rancune. Lorsqu'elle entendit Mme Marty dire qu'elle ne voulaitpas dépasser deux cents francs, elle eut une moue de pitié. Oh ! madame mettraitdavantage, il était impossible avec deux cents francs que madame trouvât quelquechose de convenable. Et elle jetait, sur un <strong>com</strong>ptoir, les manteaux ordinaires, d'ungeste qui signifiait : " Voyez donc, est-ce pauvre ! " Mme Marty n'osait les trouverbien. Elle se pencha pour murmurer à l'oreille de Mme Desforges :- Hein? n'aimez-vous pas mieux être servie par <strong>des</strong> hommes ?... On est plus à l'aise.Enfin, Marguerite apporta un manteau de soie garni de jais, qu'elle traitait avecrespect. Et Mme <strong>Au</strong>rélie appela Denise.- Servez à quelque chose, au moins... Mettez ça sur vos épaules.Denise, frappée au coeur, désespérant de jamais réussir dans la maison, étaitdemeurée immobile, les mains ballantes. On allait la renvoyer sans doute, les enfantsseraient sans pain. Le brouhaha de la foule bourdonnait dans sa tête, elle se sentaitchanceler, les muscles meurtris d'avoir soulevé <strong>des</strong> brassées de vêtements, besognede manoeuvre qu'elle n'avait jamais faite.Pourtant, il lui fallut obéir, elle dut laisser Marguerite draper le manteau sur elle,<strong>com</strong>me sur un mannequin.- Tenez-vous droite, dit Mme <strong>Au</strong>rélie.Mais, presque aussitôt, on oublia Denise. Mouret venait d'entrer avec Vallagnosc etBourdoncle ; et il saluait ces dames, il recevait leurs <strong>com</strong>pliments pour sa magnifiqueexposition <strong>des</strong> nouveautés d'hiver. On se récria forcément sur le salon oriental.Vallagnosc, qui achevait sa promenade à travers les <strong>com</strong>ptoirs, témoignait plus <strong>des</strong>urprise que d'admiration ; car, après tout, pensait-il dans sa nonchalance depessimiste, ce n'était jamais que beaucoup de calicot à la fois. Quant à Bourdoncle, il61

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!