Valenciennes, de Chantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peu chaufféd'une joie sensuelle ; tandis que Blanche, près d'elle, travaillée de la même passion,était très pâle, la chair soufflée et molle.Cependant, la conversation continuait, Hutin les aurait giflées, immobile, attendantleur bon plaisir.- Tiens! dit Mme Marty, vous regardez <strong>des</strong> cravates et <strong>des</strong> voilettes pareilles auxmiennes.C'était vrai, Mme de Boves, que les dentelles de Mme Marty tourmentaient depuis lesamedi, n'avait pu résister au besoin de se frotter du moins aux mêmes modèles,puisque la gêne où son mari la laissait ne lui permettait pas de les emporter.Elle rougit légèrement, elle expliqua que Blanche avait voulu voir les cravates deblonde espagnole. Puis, elle ajouta :- Vous allez aux confections... Eh bien ! à tout à l'heure.Voulez-vous dans le salon oriental ?- C'est ça, dans le salon oriental... Hein ? superbe !Elles se séparèrent en se pâmant, au milieu de l'en<strong>com</strong>brement produit par la vente<strong>des</strong> entre-deux et <strong>des</strong> petites garnitures à bas prix. Deloche, heureux d'être occupé,s'était remis à vider les cartons devant la mère et la fille. Et, lentement, parmi lesgroupes pressés le long <strong>des</strong> <strong>com</strong>ptoirs, l'inspecteur Jouve se promenait de son alluremilitaire, étalant sa décoration, gardant ces marchandises précieuses et fines, sifaciles à cacher au fond d'une manche. Quand il passa derrière Mme de Boves, surprisde la voir les bras plongés dans un tel flot de dentelles, il jeta un regard vif sur sesmains fiévreuses.- A droite, mesdames, dit Hutin en reprenant sa marche.Il était hors de lui. N'était-ce donc pas assez de lui faire manquer une vente, en bas?Voilà qu'elles l'attardaient maintenant, à chaque détour du magasin ! Et, dans sonirritation, il y avait surtout la rancune <strong>des</strong> rayons de tissus contre les rayons d'articlesconfectionnés, en lutte continuelle, se disputant les clientes, se volant leur tant pourcent et leur guelte. La soie, plus que les lainages encore, enrageait, lorsqu'il lui fallaitconduire aux confections une dame, qui se décidait pour un manteau, après s'être faitmontrer <strong>des</strong> taffetas et <strong>des</strong> failles.- Mademoiselle Vadon ! dit Hutin d'une voix qui se fâchait, lorsqu'il fut enfin dans le<strong>com</strong>ptoir.Mais celle-ci passa sans l'écouter, toute à une vente qu'elle bâclait. La pièce étaitpleine, une queue de monde la traversait dans un bout, entrant et sortant par la porte<strong>des</strong> dentelles et celle de la lingerie, qui se faisaient face; tandis que, au fond, <strong>des</strong>clientes en taille essayaient <strong>des</strong> vêtements, les reins cambrés devant les glaces. Lamoquette rouge étouffait le bruit <strong>des</strong> pas, la voix haute et lointaine du rez-dechausséese mourait, ce n'était plus que le murmure discret; la chaleur d'un salon,alourdie par toute une cohue de femmes.- Mademoiselle Prunaire ! cria Hutin.Et, <strong>com</strong>me celle-là ne s'arrêtait pas davantage, il ajouta entre ses dents, de manière àne pouvoir être entendu:- Tas de guenons!Lui, surtout, ne les aimait guère,les jambes cassées de monter l'escalier pour leuramener <strong>des</strong> acheteuses, furieux du gain qu'il les accusait de lui prendre ainsi dans lapoche.C'était une lutte sourde, où elles-mêmes apportaient une égale âpreté; et, dans leurfatigue <strong>com</strong>mune, toujours sur pied, la chair morte, les sexes disparaissaient, il nerestait plus face à face que <strong>des</strong> intérêts contraires, irrités par la fièvre du négoce.- Alors, il n'y a personne ? demanda Hutin.Mais il aperçut Denise. On l'occupait au déplié depuis le matin, on ne lui avaitabandonné que quelques ventes douteuses, qu'elle avait manquées d'ailleurs. Quand il60
la reconnut, occupée à débarrasser une table d'un tas énorme de vêtements, il courutla chercher.- Tenez! mademoiselle, servez donc ces dames qui attendent.Vivement, il lui mit sur le bras les articles de Mme Marty, qu'il était las de promener.Son sourire revenait, et il y avait, dans ce sourire, la secrète méchanceté d'un vendeurd'expérience, se doutant de l'embarras où il allait jeter ces dames et la jeune fille.Celle-ci, cependant, demeurait tout émue devant cette vente inespérée qui seprésentait. Pour la seconde fois, il lui apparaissait <strong>com</strong>me un ami inconnu, fraternel ettendre, toujours prêt dans l'ombre à la sauver. Ses yeux brillèrent de gratitude, elle lesuivit d'un long regard, pendant qu'il jouait <strong>des</strong> cou<strong>des</strong>, afin de regagner son rayon auplus vite.- Je désirerais un manteau, dit Mme Marty.Alors, Denise la questionna. Quel genre de manteau ? Mais la cliente n'en savait rien,elle n'avait pas d'idée, elle voulait voir les modèles de la maison. Et la jeune fille, trèslasse déjà, étourdie par le monde, perdit la tête ; elle n'avait jamais servi qu'uneclientèle rare, chez Cornaille, à Valognes ; elle ignorait encore le nombre <strong>des</strong> modèles,et leur place, dans les armoires.<strong>Au</strong>ssi n'en finissait-elle plus de répondre aux deux amies qui s'impatientaient, lorsqueMme <strong>Au</strong>rélie aperçut Mme Desforges, dont elle devait connaître la liaison, car elle sehâta de venir demander :- On s'occupe de ces dames ?- Oui, cette demoiselle qui cherche là-bas, répondit Henriette.Mais elle n'a pas l'air très au courant, elle ne trouve rien.Du coup, la première acheva de paralyser Denise, en allant lui dire à demi-voix :- Vous voyez bien que vous ne savez pas. Tenez-vous tranquille, je vous prie.Et appelant :- Mademoiselle Vadon, un manteau !Elle resta, pendant que Marguerite montrait les modèles.Celle-ci prenait avec les clientes une voix sèchement polie, une attitude désagréablede fille vêtue de soie, frottée à toutes les élégances, dont elle gardait à son insumême, la jalousie et la rancune. Lorsqu'elle entendit Mme Marty dire qu'elle ne voulaitpas dépasser deux cents francs, elle eut une moue de pitié. Oh ! madame mettraitdavantage, il était impossible avec deux cents francs que madame trouvât quelquechose de convenable. Et elle jetait, sur un <strong>com</strong>ptoir, les manteaux ordinaires, d'ungeste qui signifiait : " Voyez donc, est-ce pauvre ! " Mme Marty n'osait les trouverbien. Elle se pencha pour murmurer à l'oreille de Mme Desforges :- Hein? n'aimez-vous pas mieux être servie par <strong>des</strong> hommes ?... On est plus à l'aise.Enfin, Marguerite apporta un manteau de soie garni de jais, qu'elle traitait avecrespect. Et Mme <strong>Au</strong>rélie appela Denise.- Servez à quelque chose, au moins... Mettez ça sur vos épaules.Denise, frappée au coeur, désespérant de jamais réussir dans la maison, étaitdemeurée immobile, les mains ballantes. On allait la renvoyer sans doute, les enfantsseraient sans pain. Le brouhaha de la foule bourdonnait dans sa tête, elle se sentaitchanceler, les muscles meurtris d'avoir soulevé <strong>des</strong> brassées de vêtements, besognede manoeuvre qu'elle n'avait jamais faite.Pourtant, il lui fallut obéir, elle dut laisser Marguerite draper le manteau sur elle,<strong>com</strong>me sur un mannequin.- Tenez-vous droite, dit Mme <strong>Au</strong>rélie.Mais, presque aussitôt, on oublia Denise. Mouret venait d'entrer avec Vallagnosc etBourdoncle ; et il saluait ces dames, il recevait leurs <strong>com</strong>pliments pour sa magnifiqueexposition <strong>des</strong> nouveautés d'hiver. On se récria forcément sur le salon oriental.Vallagnosc, qui achevait sa promenade à travers les <strong>com</strong>ptoirs, témoignait plus <strong>des</strong>urprise que d'admiration ; car, après tout, pensait-il dans sa nonchalance depessimiste, ce n'était jamais que beaucoup de calicot à la fois. Quant à Bourdoncle, il61
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