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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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pair, il couchait au magasin, où il devait être à onze heures. Ne voulant pas rentreravec lui, Denise, qui s'était fait donner une permission de théâtre, acceptad'ac<strong>com</strong>pagner Pauline chez Baugé. Celui-ci, pour se rapprocher de sa maîtresse, étaitvenu demeurer rue Saint-Roch. On prit un fiacre, et Denise demeura stupéfaite,lorsque, en chemin, elle sut que son amie allait passer la nuit avec le jeune homme.Rien n'était plus facile, on donnait cinq francs à Mme Cabin, toutes ces demoiselles enusaient. Baugé fit les honneurs de sa chambre, garnie de vieux meubles Empire,envoyés par son père. Il se fâcha quand Denise parla de régler, puis finit par accepterles quinze francs soixante, qu'elle avait posés sur la <strong>com</strong>mode; mais il voulut alors luioffrir une tasse de thé, et il se battit contre une bouilloire à esprit-de-vin, fut obligé dere<strong>des</strong>cendre acheter du sucre. Minuit sonnait, quand il emplit les tasses.- Il faut que je m'en aille, répétait Denise.Et Pauline répondait :.- Tout à l'heure... Les théâtres ne ferment pas si tôt.Denise était gênée dans cette chambre de garçon. Elle avait vu son amie se mettre enjupon et en corset, elle la regardait préparer le lit, l'ouvrir, taper les oreillers de sesbras nus ; et ce petit ménage d'une nuit d'amour, fait devant elle, la troublait, luicausait une honte, en éveillant de nouveau, dans son coeur blessé, le souvenir deHutin. Ce n'était guère salutaire <strong>des</strong> journées pareilles. Enfin à minuit un quart, elleles quitta.Mais elle partit confuse, lorsque, en réponse à son souhait innocent d'une bonne nuit,Pauline cria étourdiment :- Merci, la nuit sera bonne !La porte particulière qui menait à l'appartement de Mouret et aux chambres dupersonnel, se trouvait rue Neuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin. Mme Cabin tirait le cordon, puisdonnait un coup d'oeil, pour pointer la rentrée. Une veilleuse éclairait faiblement levestibule, Denise se trouva dans cette lueur, hésitante, prise d'une inquiétude, car entournant le coin de la rue, elle avait vu la porte se refermer sur l'ombre vague d'unhomme.Ce devait être le patron, rentrant de soirée ; et l'idée qu'il était là, dans le noir, àl'attendre peut-être, lui causait une de ces peurs étranges, dont il la bouleversaitencore, sans motif raisonnable. Quelqu'un remua au premier, <strong>des</strong> bottes craquaient.Alors, elle perdit la tête, elle poussa une porte qui donnait sur le magasin, et qu'onlaissait ouverte, pour les ron<strong>des</strong> de surveillance. Elle était dans le rayon de larouennerie. .- Mon Dieu ! <strong>com</strong>ment faire ? balbutia-t-elle, au milieu de son émotion.La pensée lui vint qu'il existait, en haut, une autre porte de <strong>com</strong>munication,conduisant aux chambres. Seulement, il fallait traverser tout le magasin. Elle préférace voyage, malgré les ténèbres qui noyaient les galeries. Pas un bec de gaz ne brûlait,il n'y avait que <strong>des</strong> lampes à huile, accrochées de loin en loin aux branches <strong>des</strong> lustres; et ces clartés éparses, pareilles à <strong>des</strong> taches jaunes, et dont la nuit mangeait lesrayons, ressemblaient aux lanternes pendues dans <strong>des</strong> mines. De gran<strong>des</strong> ombresflottaient, on distinguait mal les amoncellements de marchandises, qui prenaient <strong>des</strong>profils effrayants, colonnes écroulées, bêtes accroupies, voleurs à l'affût. Le silencelourd, coupé de respirations lointaines, élargissait encore ces ténèbres.Pourtant, elle s'orienta : le blanc, à sa gauche, faisait une coulée pâle, <strong>com</strong>me lebleuissement <strong>des</strong> maisons d'une rue, sous un ciel d'été ; alors, elle voulut traversertout de suite le hall, mais elle se heurta dans <strong>des</strong> piles d'indienne et juge plus sûr <strong>des</strong>uivre la bonneterie, puis les lainages. Là, un tonnerre l'inquiéta, le ronflement sonorede Joseph, le garçon, qui dormait derrière les articles de deuil. Elle se jeta vite dans lehall, que le vitrage éclairait d'une lumière crépusculaire ; il semblait agrandi, plein del'effroi nocturne <strong>des</strong> églises, avec l'immobilité de ses casiers et les silhouettes <strong>des</strong>grands mètres, qui <strong>des</strong>sinaient <strong>des</strong> croix renversées. Maintenant elle fuyait. À lamercerie, à la ganterie, elle faillit enjamber encore <strong>des</strong> garçons de service, et elle se81

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